Rendez vous entre ciel et terre dans une église
Par Roland Lacharpagne, Délégué diocésain pour l’art sacré en Seine Saint Denis.
Il y a quelques années, en préparation d’un congrès régional d’Art Sacré, un sondage d’opinion fut réalisé auprès des personnes entrant dans les églises en France. Un des résultats fut que sur dix personnes entrant dans une église, neuf y venaient pour autre chose que la liturgie catholique : curiosité, besoin de se poser dans un lieu calme, tourisme, amour de l’architecture, dévotion individuelle, etc …
Il reste que l’église, paroissiale ou cathédrale, est signe d’un peuple rassemblé pour y célébrer la Bonne Nouvelle de Jésus. Comment ces neuf personnes étrangères au rassemblement liturgique vont-elles en découvrir quelque chose? La communauté chrétienne a donc une grave responsabilité.
Je me propose d’exprimer ici quelques convictions provenant de l’expérience de base d’un délégué pour l’Art Sacré d’un diocèse urbain et populaire.
Des églises ouvertes
Certaines de nos églises se dressent sur des lieux de passages importants, d’autres sont plus retirées .A-t-on pris des dispositions pour que ces églises soient visiblement ouvertes? Ou, si elles ne le sont pas en permanence, comment les heures d’ouverture sont-elles affichées? Certaines de nos églises sont privilégiées, disposant d’un parvis, ou d’une cour qui permet de se préparer à passer du profane au sacré du tohu-bohu urbain au silence.
Une fois la porte passée, quelle va être la première impression? Un affichage anarchique où les annonces vieilles de plusieurs mois se disputent la place avec les dernières pubs des services diocésains? Ou au contraire, aura-t-on la joie de découvrir un espace propre avec des annonces hiérarchisées, où les choses éphémères ont été éliminées au fur et à mesure de leur parution? Quelques dépliants invitant à la prière, ou à la découverte de l’édifice ou parfois les deux à la fois. La première impression dans une église est décisive. Elle invite à pénétrer davantage. Heureux les édifices qui disposent d’un narthex, ou d’un hall assez vaste qui permet un dépaysement progressif.
Des lieux distincts pour des fonctions différentes
Le choeur
Nous voici dans la nef. Le regard est immédiatement attiré vers l’autel, véritable point focal de l’église[1]. Pourtant il n’est pas très grand s’il est adapté à la liturgie actuelle de Vatican II. Non loin de l’autel, proche des fidèles: l’ambon est bien identifiable. «C’est à l’ambon que la Parole de Dieu se fait entendre, parole donnée qui nous précède, parole adressée à tous au-delà du temps et de l’espace[2] ».Il a une véritable parenté avec l’autel par sa structure et sa force. Quelques fleurs bien agencées soulignent leur importance. Un peu en retrait mais bien visible de la nef, le siège du président de la liturgie. Tout est en place, dans le silence et la sobriété. On devine, par la qualité du dispositif, l’importance de ce qui va se jouer là lorsque le peuple y sera réuni.
Les chapelles latérales
Pénétrons plus avant dans l’église. Nous découvrons avec joie les chapelles latérales. Certaines églises anciennes en ont beaucoup; nos églises récentes en ont moins. Dans l’une d’entre elles, la sainte réserve est proposée à l’adoration. Le Tabernacle est habité ; une lampe de sanctuaire et quelques fleurs, le signalent. Des sièges bien disposés, un beau tapis, permettent à celles et ceux qui viennent là de vivre la rencontre confortablement. Pas de cierges ici, ni de statues parasites … Une seule chose, le mystérieux coffret où, dans la pauvreté, se vit l’offrande divine de la vie des hommes. Une personne est là, silencieuse …
Dans une autre chapelle, abondance de statues, d’origines diverses, du Portugal, d’Amérique latine, d’Orient, de Pologne, de Tchéquie, du Sri Lanka, des bouquets quelque peu anarchiques, et un cahier ouvert où beaucoup viennent rendre grâce ou confier leurs misères. C’est la chapelle des «dévotions». Des veilleuses de toutes les couleurs et de tout format scintillent.
Faisons une indiscrétion et allons lire le « cahier d’intention ». Ce n’est pas facile, car chacun y écrit dans sa langue. Et tout le monde ne connaît pas l’orthographe … Nous y découvrons souffrances et espérances: chômage, maladie, détresse quant à la vie conjugale, ou quant à l’avenir des enfants. Prières souvent angoissées qui se terminent presque toujours par un « Merci mon Dieu », ou un « alléluia »! Gardons nous bien de mépriser ce lieu étrange où rien n’est normalement disposé, mais où tant et tant de pauvres viennent déverser en Dieu ce qui les préoccupe.
Une Église de baptisés
Le baptistère
Poursuivons la visite, à gauche en entrant un minuscule baptistère fermé de grilles ne permet pas de célébration communautaire. Il n’est plus utilisé, mais judicieusement, on l’a bien nettoyé et fleuri, de beaux panneaux symboliques entourent les anciens fonts baptismaux. Oui, nous sommes des baptisés, nous avons été inondés de l’eau vive de l’Esprit, c’est bien de se le rappeler ainsi. Mais où se passent donc les baptêmes aujourd’hui? Dans cette église ils sont célébrés en plusieurs endroits: à l’entrée pour les rites d’accueil, puis aux deux tiers de la nef pour la liturgie de la Parole et le baptême d’eau, à l’aide d’une cuve baptismale que l’on dispose chaque fois, et ils se terminent à l’autel pour l’action de grâce finale. Heureusement de larges allées, permettent de belles déambulations.
Et le sacrement du pardon !
Nous passons devant un confessionnal : sur la porte, un poster nous montre des personnes recevant le pardon lors d’un pèlerinage. Non loin de là, je suis intrigué par une petite table accolée au mur : au dessus, un joli panneau de chêne sert de présentoir à une calligraphie en or et en relief: « Tes péchés sont pardonnés, va en paix! ». Sur la table une bible ouverte, deux sièges et un prie Dieu. Nous sommes bien tombés. Il est rare de trouver dans une église quelque chose qui nous invite à nous rappeler que nous pouvons être des pécheurs pardonnés.
Louer Dieu dans la joie des instruments
Montons à la tribune, la paroisse y dispose d’un orgue, instrument ancien mais régulièrement entretenu. Chaque dimanche plusieurs organistes bénévoles viennent y servir la communauté en créant une animation musicale de l’espace : Préparation aux célébrations, prolongement de l’homélie par une improvisation, accompagnement des chants, musique de sortie. Une église muette, ou une église animée ça n’est pas la même chose. La liturgie ne parle-t-elle pas à l’homme tout entier? Heureux paroissiens qui bénéficient chaque semaine d’une liturgie musicalement accompagnée! Ceux qui ne pratiquent pas ne savent pas ce qu’ils perdent : chaque semaine l’expression d’un ou une organiste qui traduit au clavier la foi qui l’anime.
Une vue d’ensemble
De la haut, nous découvrons l’ensemble de la nef, la disposition des chaises, les allées, celle du centre, mais aussi les allées latérales, nous imaginons les mouvements des fidèles ceux qui viennent lire la Parole de Dieu, ceux de l’offertoire, ou la foule de la communion. Un autre moment où beaucoup déambulent dans l’église, c’est le moment des obsèques. Chacun, chacune, après l’Adieu, vient honorer le défunt en le bénissant. Bien souvent des personnes étrangères à l’Eglise font ce geste avec infiniment de respect.
En descendant, nous découvrons dans un bas côté le mémorial des morts des guerres passées, ainsi que le chemin de croix. Combien d’enfants ont découvert la Passion de Jésus à travers le Chemin de Croix. On a gardé ici un chemin de croix parlant, il est en relief et bien explicite. En arrivant à hauteur du chœur voici la statue de Marie présentant l’enfant Jésus, elle domine l’assemblée, et semble veiller sur elle.
Responsabilité des chrétiens
Merci aux personnes dévouées qui entretiennent ce lieu avec tant d’amour, bien balayée, fleurs fanées régulièrement enlevées. Merci aux personnes responsables laïcs et prêtres qui font de cette église un endroit accueillant et mystérieux au sens profond du mot mystère, c’est-à-dire qui laisse à voir des choses que l’œil ne voit pas. Ami incroyant qui entre ici, sois le bienvenu, des pierres vivantes ont entretenu la pierre pour que tu t’y sentes bien.
À l’autel
« vos cortèges jusqu’auprès de l’autel »
(Ps 117/27)
Je m’avance vers toi
Et c’est toi qui m’attires…
Tu attires mes pas,
Car tu es le centre de l’espace
Où je me tiens avec toi.
Tu attires mon regard
Comme un point d’incandescence.
Tu attires mon cœur
Comme un endroit de rendez-vous:
Tu es du ciel et tu es de la terre.
Tu es jointure entre le bas et le haut
Pour élever toute offrande vers Dieu.
Tu es jointure entre le haut et le bas
Pour accueillir ici toute grâce.
Tu es simple table
Pour la nappe où poser la coupe et le pain
Tu es le lieu infiniment saint
Où le mystère s’accomplit,
Où le Fils est glorifié par le Père
Où le Père est glorifié par le Fils
Où l’Agneau immolé, immolé et vainqueur,
Invite les pécheurs à l’être plus qu’un.
J’aime que tu émerges du sol
Et que tu sembles monter vers le jour.
J’aime que le jour sur toi se pose
Et que tu sembles venir de la lumière.
J’aime que tu sois revêtu
De tes somptueux habits,
Tel un époux dans le matin des noces.
J’aime pouvoir te vénérer
De mon baiser plein de respect
Et devant toi m’incliner
comme devant un trône.
J’aime pouvoir aussi te contempler,
Dans le grand dépouillement du vendredi,
Totalement nu, sous la croix.
J’aime que tu m’attendes, là
A cette place de passage
Entre le gibet où fut cloué le fils maudit
Et la gloire où siège le Ressuscité.
J’aime que tu sois quelqu’un
Comme celui dont je peux dire:
« lui, avec lui et en lui,
A toi, Père tout puissant,
Honneur et louange, aux siècles des siècles. »
«J’avancerai jusqu’à l’autel de Dieu,
vers Dieu qui est toute ma joie.»
(Ps. 42/4)
Poème de +Didier Rimaud, s.j.
Article extrait de la revue Célébrer n°370, L’espace liturgique
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1. Voir le beau poème de Didier Rimaud s.j., Chroniques d’Art Sacré n°53
2. Claire Mouly, Chroniques d’Art Sacré n°85