La dédicace d’une église
Par le chanoine Norbert Hennique, intervenu lors du Colloque des 26 et 27 juin 2008 sur le thème « Églises des villes, églises rurales, un héritage en partage »
« Un édifice cultuel doit être considéré pour ce qu’il est : il n’est ni une salle de spectacle, ni un musée, ni un bâtiment. Il est un édifice religieux, un signe de transcendance dans notre société sécularisée. Pour les uns, un témoin du passé, pour d’autres un lieu de prière, de recueillement, de célébration toujours actuel, il est un monument digne d’être considéré pour ce qu’il est. »
Tels sont les propos de Monseigneur Roland Minnerath prononcés lors du colloque organisé par le Comité du patrimoine cultuel en juin 2008.
Pour mieux comprendre la dimension cultuelle d’une église, je me propose de relire avec vous quelques éléments du « rituel de la dédicace » en usage dans l’Eglise catholique après un bref rappel de la tradition.
Au préalable, il convient de reconnaître les limites d’un tel écrit. La compréhension d’un rite n’est pas de l’ordre de son explication ou de ses commentaires mais de sa mise en œuvre, de sa célébration…
Comme dans tout rituel, c’est la foi de l’Eglise qui est présente : l’Eglise prie comme elle croit. Ainsi le vieil adage « Lex orandi, lex credendi » demeure toujours actuel. Dans ses rites, ce que l’Eglise célèbre est aussi le contenu de sa foi.
Le rituel de la dédicace est compté à bon droit parmi les actions liturgiques les plus solennelles et les plus riches de signification. En consacrant par ses rites un édifice matériel fait de mains d’hommes, la dédicace exprime le mystère même de l’Eglise, temple de Dieu construit de pierres vivantes. Le mot « église », dont l’étymologie signifie « assemblée », est alors attribué à l’édifice dans lequel la communauté chrétienne se rassemble pour entendre la parole de Dieu, prier en commun, accomplir les sacrements, célébrer l’eucharistie.
La dédicace, à la fois, confère à l’édifice sa destination et définit sa nature.
Un regard sur l’histoire
Les historiens rapportent que les tout-premiers chrétiens se rassemblaient pour célébrer l’eucharistie dans les maisons. L’exemple le plus souvent cité est celui du site de Doura-Europos, en Syrie. Des fouilles ont mis à jour les vestiges d’une maison d’habitation datant des années 220-230 qui ne diffère pas, dans sa structure, de celles qui l’entourent mais où une grande salle servait à l’assemblée et une petite pièce était transformée en baptistère ; des fresques attestent de sa destination liturgique.
Les catacombes, contrairement à la légende, n’étaient pas des lieux de culte ; dans certaines d’entre elles cependant, on aménagea des chapelles pour pouvoir vénérer les martyrs ensevelis là.
Malgré les persécutions qui sévirent jusqu’à l’édit de Milan (313) et la conversion de l’empereur Constantin, on voit apparaître de nombreux édifices destinés au culte. Les premiers témoignages de la construction des églises sont rapportés par l’historien Eusèbe dans son Histoire Ecclésiastique.
Jusqu’au milieu du VI° siècle, le rituel antique consiste d’abord uniquement dans la célébration de la messe qui comprenait une ample liturgie de la Parole : la première eucharistie suffit à dédier l’édifice à Dieu. Saint Ambroise décrit la dédicace de la basilique de Milan en 386 avec « un énorme concours de peuple ». A la même époque, Saint Jean Chrysostome de préciser :
« L’autel a ceci de merveilleux que, tout en étant par sa simple nature une simple pierre, il est sanctifié par le fait qu’il reçoit le corps du Christ ». 2
De siècle en siècle, à ce rituel romain axé sur la déposition des reliques de martyrs sous l’autel et sur la célébration de l’eucharistie, se rajoutèrent les pratiques du rituel gallican calqué sur les rites baptismaux de l’Initiation Chrétienne. De même que le chrétien est baptisé par le rite de l’eau et par l’huile du Saint Chrême, ainsi l’autel et les murs de l’église sont sanctifiés par l’ablution et par l’onction. Durant cette longue histoire de l’Eglise, les édifices cultuels n’auront pas d’autres utilisations que de rassembler les croyants pour les sacrements et de favoriser la prière de la communauté et les dévotions individuelles.
Faisant suite à une première réforme de 1961, le Concile Vatican II a publié l’Ordo dedicationis le jour de la Pentecôte 1977. Cet ordo est destiné à la consécration des lieux de culte (églises et autels fixes) et à la bénédiction des seuls objets requis pour la célébration de l’Eucharistie (calice et patène).
Les caractéristiques du nouveau rituel
Le rituel de la dédicace est toujours présidé par l’évêque entouré des prêtres auxquels est confié le ministère pastoral en présence de la communauté chrétienne. Cette dédicace donne à la célébration de l’eucharistie son rôle primordial en précisant qu’elle est « le rite essentiel et même le seul nécessaire ». Ce rite est non réitérable. Les préliminaires du rituel précisent :
« Lorsqu’on érige une église comme un édifice destiné uniquement et de façon stable à rassembler le peuple de Dieu et à célébrer la liturgie, il convient de la consacrer par un rite solennel, selon la très ancienne coutume de l’Eglise ».
Cet « Ordo » témoigne par ces rites et ses nombreux textes eucologiques d’une remarquable richesse doctrinale, d’un opulent déploiement de gestes, de signes, de symboles et de chants soulignant ainsi que cette célébration est un événement majeur pour la communauté au point que l’anniversaire de la dédicace prendra rang de solennité pour cette église.
Les rites d’ouverture
Tandis que la procession extérieure s’arrête aux portes de l’église, les délégués de ceux qui ont travaillé à sa construction (fidèles de la paroisse ou du diocèse, donateurs, architectes, ouvriers…) remettent l’édifice à l’évêque : soit les clefs, la maquette de l’église ou un livre qui décrit le déroulement des travaux et qui indique le nom des artisans de l’ouvrage. L’évêque charge alors le pasteur de la nouvelle église d’en ouvrir les portes.
Après l’entrée, l’aspersion est destinée d’abord aux fidèles en mémoire de leur baptême et ensuite aux murs et à l’autel. L’église, en tant qu’assemblée faite de personnes vivantes, passe avant le bâtiment puisque c’est la première qui justifie la seconde et lui donne sa valeur. La prière de l’évêque précise la destination du lieu :
« …accorde à ton peuple ici rassemblé ainsi qu’à tous nos frères de venir y célébrer tes mystères…».
La liturgie de la Parole
Cette solennité comporte une liturgie de la parole dont la première lecture doit toujours consister dans le récit de la proclamation de la Loi de Moïse par le prêtre Esdras à Jérusalem en présence du peuple rassemblé. Les deux autres lectures sont à choisir parmi les textes proposés dans le Lectionnaire rituel. C’est l’évêque lui-même qui fait l’ostension solennelle du livre des Ecritures au peuple avant de le transmettre au lecteur : « Que résonne en ce lieu la parole de Dieu. » Ces lectures sont proclamées de l’ambon, « la table de la Parole ». « La dignité de la Parole de Dieu requiert qu’il y ait dans l’église un lieu adapté à sa proclamation 3 et vers lequel, pendant la liturgie de la parole, se tourne spontanément l’attention des fidèles. ». Les préliminaires du Missel Romain précisent qu’il convient que ce lieu soit un ambon fixe aménagé en fonction des données architecturales de chaque église et non un simple pupitre mobile.
La prière de la dédicace et les onctions
Le rite proprement dit de la dédicace débute par le chant des litanies des saints suivi de la déposition possible des reliques des martyrs ou d’autres saints.
La grande prière de la dédicace, chantée par l’évêque les mains étendues, développe avec ampleur la théologie du mystère de l’Eglise dont l’église-bâtiment est le signe.
L’évêque procède ensuite aux rites symboliques en commençant par la consécration de l’autel avec l’onction du Saint Chrême. Les rubriques précisent que cet autel « doit être fixe ».
Les Pères de l’Eglise ont vu dans l’autel, dès l’antiquité, un symbole du Christ lui-même ce qui a justifié l’adage : « L’autel, c’est le Christ ». On comprend ainsi l’inclination des prêtres, des moines, des moniales et des fidèles devant l’autel, sa vénération par les encensements ainsi que le baiser du célébrant au début et à la fin d’une célébration eucharistique.
L’évêque répand d’abord l’huile sainte en son milieu puis aux quatre angles. Il pourra ensuite oindre la surface de la table pour donner au rite toute l’ampleur qu’il requiert.
L’onction est ensuite étendue sur les douze croix de consécration fixées aux parois de l’église, rappelant ainsi le verset du livre de l’Apocalypse évoquant l’Eglise du Christ fondée sur les « douze apôtres de l’Agneau inscrits sur les murs de la cité sainte ». L’église est ainsi consacrée tout entière au culte chrétien.
Est-il nécessaire de rappeler que le saint Chrême est cette huile consacrée par l’évêque à la Messe Chrismale et qu’il sert à oindre les nouveaux baptisés, les mains des prêtres et la tête des évêques à leur ordination, à signer les confirmands ?
Après le rite de l’onction, l’encensement de l’autel figure parmi les rites les plus expressifs lorsque les flammes recouvrent l’autel, qu’un nuage d’encens s’en dégage, que l’odeur parfumée envahit l’église. Comme le rappelle la Constitution conciliaire sur la liturgie : les rites seront suffisamment clairs pour ne pas nécessiter « de nombreuses explications pour les comprendre ». La liturgie exerce ainsi une fonction catéchétique par ses rites, ses gestes et ses paroles.
Après que les ministres aient parcouru la nef pour encenser le peuple et l’édifice, c’est alors l’illumination de l’autel suivie par celle des bougies fixées aux croix des murs. L’illumination a un caractère d’inauguration. De l’autel, la lumière se propage à tout l’édifice, en signe de joie, tandis que le diacre dit à haute voix :
« Que resplendisse dans l’église la lumière du Christ et que parvienne à tous les peuples la plénitude de la vérité ! »
La liturgie eucharistique
Désormais, tout est prêt pour le rite essentiel de la célébration eucharistique : l’autel est recouvert d’une nappe tandis que l’évêque reçoit les offrandes à son siège. Le baiser de l’autel n’a lieu qu’à ce moment. Une préface propre ouvre la Prière eucharistique qui comporte des intercessions particulières. On note, après la communion, la possibilité d’inaugurer la chapelle où sera conservée l’eucharistie dans le tabernacle.
L’anniversaire de la dédicace
Chaque année, le calendrier liturgique prévoit l’anniversaire de la dédicace de chaque église. Son importance est soulignée en plaçant cette célébration sous le degré de solennité avant certaines fêtes du Seigneur – son Baptême, sa Présentation au Temple -, de la Vierge Marie – la Visitation ou sa Nativité -, des apôtres et des évangélistes.
Permettez-moi d’exprimer un souvenir personnel lié à mon récent ministère à Notre-Dame de Paris : tout au long de son épiscopat dans la capitale, le cardinal Lustiger a demandé que chaque année à l’anniversaire de la dédicace le 16 juin, les douze cierges de consécration fixés à douze piliers soient allumés tout au long de la journée et qu’une eucharistie concélébrée rassemble, à la messe du soir, les chanoines et les chapelains de la cathédrale avec la maîtrise tandis que le bourdon de Notre-Dame invite les fidèles parisiens.
Conclusion
En conclusion, cette présentation du rituel de la dédicace d’une église est loin d’être exhaustive. Elle rappelle la vocation d’une église comme lieu cultuel catholique. La consécration composée de prières et de rites particulièrement solennels fait de chaque église une véritable maison de prière, quelle soit une grandiose cathédrale au cœur d’une cité ou l’humble église d’un village rural.
La Domus orationis est le lieu où les fidèles se rassemblent dans l’unité, où ils adorent en esprit et en vérité, où le peuple chrétien se construit dans la charité. Ce regard ne saurait faire oublier que chaque église est ouverte à tous, qu’elle n’est fermée à personne. Je laisse le soin de conclure à un évêque, Balaï le Syrien, au début du V° siècle, consacrant une église près d’Alep :
« Cette demeure n’est pas une simple maison mais le ciel sur la terre car elle contient le Seigneur. Si tu veux le scruter, il est tout entier dans les hauteurs, mais si tu le cherches, il est entièrement présent sur terre. Si tu t’efforces de le saisir, il t’échappe par sa transcendance, mais si tu l’aimes, il est tout près de toi. Si tu l’étudies, il est au ciel, mais si tu crois en lui, il est dans le sanctuaire. Et pour qu’il reste avec nous, les hommes de la terre, nous lui avons construit une demeure ; nous avons dressé l’autel, table où l’Eglise mange la vie. »
Article extrait de la revue Célébrer n°370, L’espace liturgique