Fleurir nos églises à la lumière du mystère pascal 1/5

« Comment fleurir en liturgie accompagne l’annonce et la célébration du mystère pascal ? »

Dans ce texte, le père Ledoux prend appui sur les quatre piliers de la Vigile pascale – Liturgie de la Lumière ; Liturgie de la Parole ; Liturgie de l’eau ; Liturgie eucharistique – pour réfléchir à la mission de « Fleurir en liturgie » et interroger ses acteurs.

Cet article introduit les quatre suivants que vous pourrez retrouver au bas du texte ci-dessous.

L’art de fleurir en liturgie a ceci en propre qu’il fait entrer la Création elle-même dans l’Oïkos de Dieu, la « Maison de Dieu », son Église dont nos églises sont le signe, établissant ainsi un dialogue entre nature et culture au cœur même du culte chrétien qui est l’œuvre de la Trinité sainte. Comme Abraham accueillant dans sa tente les trois hôtes divins, c’est in medio Ecclesiae que, dans un sacrifice de louange, nous rendons à Dieu les fruits de la terre, de la vigne et du travail des hommes, pour qu’ils deviennent son plus beau fruit, la fine fleur de son Amour pour tous : le corps et le sang de Celui qui a pris notre humanité, rompu, versé et partagés pour que nous soyons unis à sa divinité.

Dès lors, dans nos « maisons de Dieu », la présence de la nature, sous toutes ses formes, manifeste cette vérité de la bonté, de la beauté et de la gloire du cosmos créé et sauvé avec tous les hommes. Autrement dit, en harmonie avec la liturgie, toute composition florale au milieu de nos sanctuaires participe, à sa manière, à l’annonce du kérygme, à savoir que la Mort n’a pas eu le dernier mot, que la Vie l’emporte toujours sur tout mal et que le monde est beau.

Bien plus, comme signes et symboles de la Création rachetée, ces fleurs sont là comme un tiers entre Dieu et nous, nous rappelant que la Terre en sa création est notre Maison commune, le jardin de notre liberté, le lieu-dit de notre salut accompli une fois pour toutes en son Fils né, mort et ressuscité pour nous. Telle est le cœur de notre foi au Christ, en son Mystère pascal dont, pour sa part, l’art de fleurir nos églises se doit de témoigner pour être véritablement liturgique.

« Il est grand le mystère de la foi… Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. »
Tel est le cœur de notre liturgie, tel est le cœur de notre foi ! Lex orandi, lex credendi…

Mais qu’est-ce que cette « anamnèse » du mystère pascal que nous chantons à chaque messe peut bien « réellement », c’est-à-dire très concrètement, voire physiquement, charnellement, signifier pour vous, pour nous, hommes et femmes du XXIe siècle, au service de la liturgie et de nos frères et sœurs en humanité, mais aussi enracinés dans une histoire, celle du monde et celle de notre pays, en ces temps de changements et de bouleversements en tous genres, sociaux, économiques, ecclésiaux, et surtout environnementaux et écologiques ?

Comment entrer dans le « Mystère pascal », comment « aller au cœur de notre foi » sans tomber dans le prêchi-prêcha théologique habituel, convenu, abstrait et sans racine existentielle, mais en cherchant véritablement sur le chemin de notre humanisation, sur le terrain de notre propre expérience humaine (et donc divine !), en creusant profondément en quoi cela nous fait vivre, en quoi cela nous donne foi, espérance et charité pour nourrir notre art liturgique et, à travers lui, notre mission de témoins et répandre le feu de sa joie sur nos chemins de foi ? Ce sera mon 1er point.

Dès lors, il est devient évident que « fleurir la liturgie à la lumière du mystère pascal », ce n’est pas seulement fleurir de diverses manières les dimanches et fêtes de l’Église en prière et célébrer ainsi les louanges de Dieu et de sa Création, mais c’est aussi se laisser toucher par les forces de vie et de mort qui traversent  nos contemporains, comme nous-mêmes, et qui peuvent s’exprimer de manière plus intense à travers, notamment, baptêmes, mariages et funérailles que vous pouvez être amené·e·s à vivre dans vos paroisses, voire à fleurir parfois aussi. Ces célébrations-là relèvent également du Mystère pascal, comme le rappelle notamment le cierge pascal aux baptêmes et aux funérailles, dans un silence éloquent. Parole et silence : ce sera mon 2e point.

De même, « fleurir à la lumière du mystère pascal », ce n’est pas non plus faire de belles compositions uniquement pour la liturgie des Jours saints et du Temps pascal ; ce n’est pas répéter, d’année en année, les mêmes célébrations, les mêmes chants, les mêmes bouquets, comme si rien des événements du monde, de notre pays, de notre Église, de notre paroisse, de nos familles ne nous avait traversé·e·s. Car, il en va de notre qualité de témoins du Christ : comme nous le rappelle fortement le Concile Vatican II, il s’agit de partager

les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent [car ils] sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur[1].

Invitation à être et à favoriser, à travers votre art liturgique, de réelles présences, comme nous le verrons dans mon 3e point.

Enfin, « fleurir à la lumière du mystère pascal », c’est aussi se laisser toucher et rejoindre par celles et ceux qui entrent dans nos églises, et qui sont parfois très loin de la foi.

Je suis sûr qu’il vous est déjà arrivé, alors que vous fleurissiez votre église ou à la fin d’une célébration, d’entrer en dialogue avec ces personnes de passage. Or, chaque fois que des femmes et des hommes qui frappent à la porte de l’Église, viennent enrichir nos églises ou nos assemblées liturgiques de leur présence et de leur vie, – parfois chaotiques, car des forces de mort et de vie s’y affrontent douloureusement -, ils viennent aussi nous ouvrir à la diversité de la Vie que Dieu donne en abondance, et ainsi agrandir et élargir l’arc-en-ciel de son Alliance avec tout ce qui vit et respire, car devant Dieu il n’y a point d’acception de personnes (Romains 2, 11 ; Actes 10, 34). Nos liturgies et nos bouquets, en les accueillant, n’en seraient-ils pas ainsi transformés et transfigurés ?

Hospitalité eucharistique : ce sera mon 4e et dernier point.

Pour ce parcours en quatre points, je m’appuierai bien entendu, sur deux « guides » solides :

– D’une part, l’évangile des disciples d’Emmaüs (Luc 24, 13-35) pour, ensemble, « aller au cœur de la foi » ; car, comment « fleurir à la lumière du mystère pascal », sans redécouvrir ce qu’il est en vérité et en profondeur, à la lumière de l’Évangile lui-même ? Or, comme l’écrit si bien Goffredo Boselli,

« Emmaüs est une liturgie faite évangile (…) ; la liturgie chrétienne est un évangile en acte. (…) Nous entrons dans la liturgie, mais, en fait, c’est elle qui entre en nous. (…) Il nous faut donc revenir sans cesse comme à l’origine de la liturgie avec la conscience que ce qui s’est passé sur ce chemin se produit aujourd’hui encore dans nos liturgies.

De façon tout à fait inséparable, Emmaüs est un microcosme de la foi chrétienne et un microcosme de l’authentiquement humain. Il est un microcosme de la foi parce que les éléments essentiels y sont contenus : la venue du Ressuscité encore à reconnaître, l’intelligence des Écritures, le scandale de la croix, l’Eucharistie, l’annonce que « le Seigneur est ressuscité », la communion dans l’Église. Mais Emmaüs est aussi un microcosme de l’authentiquement humain (…). On y retrouve l’expérience de la désillusion, la recherche de sens, le chemin, le dialogue, la souffrance et la mort, la tombée de la nuit avec ses ténèbres et ses peurs, l’hospitalité, le partage du pain, l’ouverture des yeux qui est reconnaissance, compréhension et retour à la relation abandonnée. Emmaüs est donc à la fois chemin de foi et chemin d’humanisation comme doit l’être l’expérience liturgique[2]. »

Ce sera donc sous ce prisme et à la lumière de cet évangile que je vous proposerai des pistes de réflexion pour nourrir votre art de fleurir « le combat prodigieux de la Mort et de la Vie » (« Mors et vita duello conflixere mirando », chante la séquence de Pâques), combat mené par le Christ, en Premier-Né relevé d’entre les morts (cf. Colossiens 1, 18).

– Et, d’autre part, second point d’appui, il nous faudra aussi repartir de la structure, de la matrice de toutes nos liturgies, à savoir la Vigile pascale, que saint Augustin nomme la « mère de toute les veillées[3] », et dont Jean-Paul II a rappelé « l’importance unique dans l’année liturgique, au point d’être la fête des fêtes[4] ».

Pourquoi ? Parce que c’est elle qui enfante de nouveaux enfants à l’Église, bien entendu, avec le baptême des catéchumènes, mais c’est elle aussi qui est la source du renouvellement des promesses de notre propre baptême, de notre passage « de mort à vie » et la source du renouvellement de la « réserve eucharistique ». Tout y est nouveau : le feu, l’eau, le pain eucharistique, mais aussi la Parole qui sans cesse grandit[5] avec la communauté des croyants/interprétants.

Liturgie du feu, liturgie de la Parole, liturgie de l’eau, liturgie eucharistique sont les quatre piliers qui marquent le parcours de cette liturgie originelle, mais qui doivent être aussi ceux qui marquent toute réflexion sur le mystère pascal dans la liturgie, car ils intègrent toute l’expérience humaine et tout le cosmos : le feu, l’air (le souffle de la Parole), l’eau et la terre (le pain, fruit de la terre et du travail des hommes).

C’est donc, à la lumière biblique de l’évangile d’Emmaüs, à partir de la matrice liturgique de la Veillée pascale et sous l’angle théologique essentiel du Mystère pascal que je vous propose donc à présent de réfléchir ensemble à la manière de fleurir les liturgies de l’Église en prière. Mais, comme le Petit Poucet, je parsèmerai aussi mes propos de plusieurs questions qui seront comme des invitations à poursuivre et/ou approfondir vos propres réflexions sur la pratique de votre art liturgique, à la lumière du Mystère pascal.

***

N.B. : Dans la version orale de cette conférence, tout en s’appuyant sur les quatre piliers de la Vigile pascale, le P. Ledoux avait privilégié un itinéraire poétique : Feu/Eau et Parole/Pain, les éléments naturels répondant aux éléments humains. Pour cette version texte, après réflexion et pour éviter toute éventuelle confusion, il est revenu à l’ordre liturgique prévu par le rituel de la Vigile pascale (Feu, Parole, Eau et Pain eucharistique) :

  1. Chemin de feu, chemin de foi
  2. Parole et silence
  3. Réelles présences
  4. Hospitalité eucharistique

 

[1] Concile Vatican II, Constitution Gaudium et Spes, n° 1.

[2] Goffredo Boselli, « La liturgie d’Emmaüs », dans Enzo Bianchi, Goffredo Boselli, L’Évangile célébré, Namur/Paris, Lessius, coll. « La part-Dieu » n° 33, 2017, p. 172.

[3] Augustin d’Hippone, Sermon 219 pour la veillée de Pâques : « Quanto ergo alacrius in hac vigilia, velut matre omnium sanctarum vigiliarum, vigilare debemus, in qua totus vigilat mundus ? » (« Avec quel empressement ne devons-nous donc pas observer cette veillée, laquelle est comme la mère de toutes les saintes veillées, puisque le monde entier veille ? »).

[4] Jean-Paul II, Lettre apostolique pour le 25e anniversaire de « Sacrosanctum Concilium » sur la sainte liturgie, du 14 mai 1989, Documentation Catholique 1985, 4 juin 1989, p. 518-524.

[5] Voir Gregoire Le Grand, Homélies sur Ezéchiel I, Paris, Cerf, Sources Chrétiennes n° 326, 1985, I, VII, 10, p. 251 : « Scriptura cum legentibus crescit » (« l’Écriture grandit avec ceux qui la lisent »), comme si le texte était un « Vivant », voire un corps capable de s’agrandir et d’éprouver avec nous une sorte d’intercorporéité. L’Écriture biblique est donc une Vie qui s’adresse à une vie, un Vivant qui s’adresse à un vivant, voire un corps qui parle à un corps.

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