Liturgie et lumières : Que demande la liturgie à la lumière ?
Par Claude Duchesneau, Centre Nationale de Pastorale Liturgique (CNPL)
II existe trois types de lumières.
- Mentionnons en premier la lumière naturelle du jour, qui disparaît lorsque la nuit tombe. La capacité d’éclairage qu’elle donne variera évidemment selon le style de l’édifice, sombre s’il est roman, clair, mais pouvant être atténué, s’il est gothique, lumineux s’il est gothique flamboyant, assez clair s’il est baroque ou du XIXe siècle, très clair, en principe, s’il est moderne. Le lecteur adaptera donc ce que vont dire ces lignes selon son église. Mais la nuit sera la même pour tous, et il y a, aujourd’hui, plus de célébrations, la nuit tombée, qu’autrefois : messes du soir, célébrations pénitentielles, veillées de prière, office du triduum pascal, sans parler de la messe de minuit. Or, si l’éclairage ne peut jouer avec le jour, il le peut avec la nuit.
- Le deuxième type est celui de la lumière électrique qui a une double fonction, l’une utilitaire et l’autre symbolique. La fonction utilitaire a pour but qu’on puisse voir clair, pour se déplacer, pour voir ce qui se passe, notamment dans le chœur, pour lire … La fonction symbolique a pour but de rehausser, de mettre davantage en relief, un élément architectural (les voûtes, par exemple), une œuvre d’art (une statue, un tableau, une croix) ou un lieu important (autel, ambon, siège présidentiel, sur lesquels nous reviendrons). On pourrait parler ici d’une sorte de fonction d’illumination ; il ne s’agit pas seulement d’éclairer l’objet, l’élément ou le lieu pour qu’il soit vu, mais de l’éclairer plus qu’il est nécessaire afin de le mettre en relief pour qu’il soit admiré à sa juste valeur.
- Le troisième type est celui de la lumière des cierges qui est devenu totalement symbolique depuis l’invention de l’électricité. En effet, cette lumière est parfaitement inutile à l’éclairage. Mais par son inutilité même, elle révèle qu’elle est entièrement consacrée à la « vénération et au caractère festif » (Présentation générale du Missel romain, n. 269) de ce qu’elle accompagne. On n’a pas besoin d’elle pour voir clair, mais pour voir sa flamme briller, vibrer, « chanter » …
Jeux de lumière
Bien que la liturgie comporte une certaine mise en scène et ait un aspect spectaculaire, elle n’est pas du théâtre. Une utilisation scénique des jeux de lumière n’y est pas interdite, mais elle sera sévèrement contrôlée pour ne pas dériver vers le « show ».
Par exemple, s’il est légitime que le chœur soit davantage éclairé que la nef, on n’ira pas jusqu’à laisser l’assemblée dans l’ombre, car ses membres sont intégralement acteurs de la célébration. Même dans le cas d’une adoration du Saint-Sacrement, on se gardera de n’éclairer que l’ostensoir, car, selon le rituel de l’Eucharistie en dehors de la messe, l’adoration du Saint-Sacrement est intimement liée à la messe, et, plus précisément, à la communion. Ce serait donc un contresens liturgique que de laisser les fidèles dans le noir puisque le but de leur adoration est de devenir ce qu’ils adorent, le corps du Christ, qu’ils ont reçu ou vont recevoir, selon la forte parole de saint Augustin « Devenez ce que vous recevez ».
De même, il serait anormal d’éteindre presque toute l’église pour ne laisser qu’un spot sur le lecteur durant la lecture ou sur le président et l’autel durant la prière eucharistique. On peut renforcer l’éclairage du siège de présidence, de l’ambon et de l’autel au moment où ils servent, mais pas jusqu’à créer un effet « spot », comme s’il s’agissait de mettre en relief une vedette de la chanson ou de la danse. Il y a cependant au moins deux occasions où un tel jeu est possible durant la veillée qui précède la messe de minuit et à la fin de la célébration du Jeudi Saint, lorsque l’on passe de l’autel au reposoir : pour créer une atmosphère de recueillement, et servir de transition avec la fin de la messe, on éteint progressivement les lumières en lisant par exemple le début de la Passion selon Marc (Mc 14, 28. 32-38) : « Après le chant des psaumes, ils partirent pour le Mont des Oliviers. Ils parvinrent à un domaine appelé Gethsémani … « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation. » » Une autre occasion existe, mais hors célébration, dans la journée ou en fin d’après-midi. Un spot peut être dirigé vers le tabernacle ou vers une statue (de Notre-Dame, par exemple), pour inviter à la prière et favoriser le recueillement.
Enfin, il y a une seule occasion liturgique où l’église doit être dans l’obscurité totale, étant sauf le minimum pour la sécurité, c’est lors de la procession d’entrée de la veillée pascale, ce qui suppose évidemment, comme l’Église le demande, qu’on attende qu’il fasse nuit pour allumer le feu pascal.
La lumière des cierges
Il s’agit donc d’une lumière symbolique, comme nous l’avons dit, mais son symbole peut être extensible. L’autel étant pourvu, il peut y avoir plus au moins de cierges, selon le degré festif de la célébration (plus à Pâques qu’en Carême), selon l’Évangile (aveugle-né, Christ-Roi …) ou selon des circonstances ponctuelles (jubilé de l’an 2000, fête du saint patron de la paroisse…).
Il y a alors deux moyens différents à utiliser : les cierges fixes (le cierge pascal, les cierges de l’ancien maître-autel, tel chandelier posé à côté de l’ambon…) et les cierges mobiles, portés par des enfants de chœur ou des fidèles jeunes ou adultes : cierges à la procession d’entrée, ou du lectionnaire, ou des dons cierges accompagnant ceux qui donnent la communion ; petits cierges à la veillée pascale, au baptême ou lors de circonstances particulières : un prêtre avait ainsi, avant d’éteindre le cierge pascal, appelé les enfants. Il leur a donné un petit cierge allumé au cierge pascal en leur disant : « Le Christ ressuscité est toujours notre lumière, mais maintenant, c’est nous qui la portons ».
Ce serait une erreur qu’il y ait une célébration autre que la veillée pascale où tous les fidèles tiendraient un petit cierge. En revanche, il peut exister des cas où un petit groupe porte de petits cierges de façon significative : la profession de foi en fait partie. Mais ce peut être aussi un petit groupe d’enfants, de jeunes et même d’adultes qui, pour une occasion exceptionnelle, se joignent à la procession d’entrée, entourent le prêtre ou le diacre qui proclame l’Évangile et qui, peut être, formeront un demi-cercle dans le chœur lors de la prière eucharistique et partiront accompagner ceux qui donneront la communion. On pourrait le faire, aussi, avec les membres d’une équipe d’animation paroissiale (ou pastorale), lors de leur nomination et envoi en mission. Chacun dépose son cierge dans un bac à sable, ou sur un support métallique, formant un grand brasier de lumière. Enfin, l’architecture de certaines églises permet, pour les grandes fêtes, de mettre un cierge (ou un petit lumignon rouge) à l’entrée de l’édifice et à chaque pilier.
Bien qu’elle ne soit pas directement liturgique, la pratique de faire brûler un cierge est belle et fructueuse, si elle est bien organisée. Certains la refusent ou la limitent sous prétexte qu’elle aurait des relents de superstition ou de dévotion déplacée (on met un cierge à sainte Thérèse, mais on ne va même pas s’agenouiller devant le Saint-Sacrement). Plusieurs points sont à considérer. D’abord, on ne peut pas juger les consciences ni les intentions. Ensuite, c’est une occasion, pour certaines personnes assez éloignées de l’Église, de faire une démarche religieuse. Enfin, beaucoup de ceux qui font cette démarche sont en situation de pauvreté, de peine, voire de détresse. Leur geste n’en est que plus respectable. La lumière de ces cierges dans l’obscurité des églises reste longtemps un témoignage de leur foi et un appel à la prière pour ceux qui entreront ensuite dans l’édifice. Quelques textes de l’Évangile ou du saint peuvent être laissés à côté des cierges. Ils serviront à christianiser davantage la prière de supplication ou de remerciement qui accompagne le geste.
« Lumen Christi – Lumière du Christ » : c’est par ce cri de naissance que commence la Veillée pascale. Il dit assez à quel niveau de valeur nous devons élever la lumière qui en est le symbole.
Article publié dans la revue Chroniques d’art sacré, n°60, hiver 1999, p 12-14.
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