La messe, chemin vers la paix que Dieu donne
« Seigneur Dieu, créateur du monde, c’est toi qui régis le cours des temps ; dans ta bonté accueille nos supplications : accorde à notre temps la paix et la tranquillité ». Cette prière extraite de la messe votive pour la paix et la justice exprime la préoccupation qui habite l’Église lorsque des événements du monde l’incitent à prier spécifiquement pour la paix. Mais en réalité toute messe est signe de la paix que Dieu donne aux hommes, et en même temps un chemin pour laisser cette paix entrer dans nos vies, nos maisons et nos pays.
« La paix soit avec vous ! »
Pour les chrétiens, comme le rappelait en 2003 saint Jean-Paul II dans son audience du 23 avril juste après Pâques, la paix que nous laisse le Christ « n’est pas uniquement le résultat d’accords passés entre des personnes et des institutions. Elle est plutôt un don à accueillir avec générosité, à garder avec soin et à faire fructifier de manière responsable ». En effet, c’est bien le Mystère pascal qui révèle pleinement et définitivement l’amour du Seigneur : « Désormais, le Christ est vivant pour toujours et la mort n’a plus aucun pouvoir sur lui. Comme aux premiers témoins de sa Résurrection, il nous dit aujourd’hui : “La paix soit avec vous !”. Cette paix est le fruit de la vie nouvelle inaugurée par la Résurrection ». Cette paix nous est assurée pour l’éternité même si les tempêtes de toutes sortes continuent à souffler sur le monde,
Justement l’annonce de la résurrection, avec la paix qu’elle procure, n’occulte pas les tourbillons du mal. Il est significatif qu’annonçant cette paix à ses disciples, Jésus se fasse reconnaître précisément en montrant ses mains et son côté. C’est que « nous avons besoin du Crucifié Ressuscité pour croire en la victoire de l’amour, pour espérer en la réconciliation », soulignait le pape Français à son tour dans son message de Pâques Urbi et Orbi en 2022 :
« Aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin de Lui, qu’il vienne parmi nous et nous dise encore : “La paix soit avec vous !”. Lui seul peut le faire. Lui seul a le droit de nous annoncer la paix aujourd’hui. Jésus seul, parce qu’il porte les plaies, nos plaies. Ses plaies sont deux fois les nôtres : les nôtres parce qu’elles Lui ont été faites par nous, par nos péchés, par notre dureté de cœur, par notre haine fratricide ; et les nôtres parce qu’il les porte pour nous, il ne les a pas effacées de son Corps glorieux, il a voulu les garder en lui pour toujours. Elles sont un sceau ineffaçable de son amour pour nous, une intercession perpétuelle pour que le Père céleste les voie et qu’il ait pitié de nous et du monde entier. Les plaies dans le Corps de Jésus ressuscité sont le signe de la lutte qu’il a menée et vaincue pour nous, avec les armes de l’amour, afin que nous puissions avoir la paix, être en paix, vivre en paix ».
Avec le Christ, la paix a un visage. C’est ce visage que chaque eucharistie fait rencontrer, tout particulièrement le dimanche. Il suffit de laisser la liturgie nous guider pour ouvrir les yeux, le reconnaître et le laisser nous donner sa paix « à accueillir avec générosité, à garder avec soin et à faire fructifier de manière responsable ».
« Que ton fils lui-même accorde les dons de l’unité et de la paix ! »
Le Triduum pascal fournit le modèle de ce que la liturgie dominicale peut faire vivre. Chaque année en effet, il vivifie notre mémoire du Seigneur crucifié, enseveli et ressuscité et creuse la disponibilité à laisser entrer l’annonce pascale : « La paix soit avec vous ! ». On y aperçoit même comment la liturgie aide directement les participants à se resituer dans le besoin de paix qui les habite en s’ouvrant à Dieu qui donne la paix.
Venant après la lecture de la Passion, la grande prière universelle du Vendredi saint fait ainsi monter vers Dieu, entre autres, une prière « pour les chefs d’État et tous les responsables des affaires publiques » afin que le Seigneur « dirige leur esprit et leur cœur selon sa volonté pour la paix véritable et la liberté de tous ». Après cet invitatoire et un moment de silence, le prêtre prononce l’oraison suivante : « Dieu éternel et tout-puissant, le cœur humain et les droits des peuples sont dans ta main ; regarde avec bienveillance ceux qui exercent le pouvoir sur nous ; que par ta grâce s’affermissent partout sur la terre la sécurité et la paix, la prospérité des nations et la liberté religieuse. Par le Christ, notre Seigneur ».
Sécurité, paix, prospérité, liberté religieuse. Les besoins des hommes ne sont pas occultés mais la liturgie invite à les vivre sous l’éclairage qu’apporte la présence du Christ. C’est le message de l’Exultet¸ cette annonce solennelle de Pâques, lors de la Vigile pascale. On l’entend notamment dans le dernier paragraphe : « Seigneur, permets que ce cierge consacre en l’honneur de ton nom brûle sans déclin pour dissiper les ténèbres de cette nuit ». Il s’agit de tourner symboliquement l’attention vers celui qui est la vraie lumière : « Qu’il brûle encore quand se lèvera l’astre du matin, cet astre sans pareil qui ne connaît pas de couchant, le Christ, ton Fils, revenu du séjour des morts, qui répand sur le genre humain sa lumière et sa paix, lui qui vit et règne pour les siècles des siècles ».
Chaque année, l’expérience du Triduum réassocie donc les croyants à la traversée de la nuit vécue par leur Seigneur pour inscrire en eux la manière d’accueillir l’annonce pascale : « La paix soit avec vous ! ». Ce faisant, elle enracine dans le mystère pascal la belle espérance dont témoigne la préface du Christ roi de l’univers : « Quand toutes les créatures auront été soumises à son pouvoir, il remettra aux mains de ta souveraine puissance le règne éternel et universel : règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix ».
Pour hâter cette récapitulation, il importe de laisser le Christ vivre et régner en chacun de nous, et par nous dans le monde. Or la participation à l’eucharistie, en particulier dominicale, entretient la disposition qui convient : « En offrant le sacrifice qui réconcilie le genre humain avec toi, nous te supplions humblement, Seigneur : que ton Fils lui‑même accorde à tous les peuples les dons de l’unité et de la paix » (prière sur les offrandes de la même messe du Christ-roi).
La messe éduque à ouvrir nos cœurs à « la véritable paix »
Les rites initiaux tournent d’emblée ceux qui veulent offrir le sacrifice vers Celui qui donne la véritable paix. Une des trois formes de salutation est explicite : « Que la grâce et la paix de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus, le Christ, soient toujours avec vous ». Puis l’hymne du Gloria associe dès la première phrase la « gloire » à rendre « à Dieu, au plus haut des cieux » au souhait que vienne la « paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime ». Parce que l’on sait pouvoir s’adresser à Dieu comme à celui « qui régi(t) et le ciel et la terre », on osera demander : « exauce, en ta bonté, les supplications de ton peuple et donne à notre temps la paix qui vient de toi » (collecte du 2e dimanche ordinaire) ou « accorde-nous de vivre dans un monde où les évènements se déroulent selon ton dessein de paix » (collecte du 8e dimanche ordinaire).
La liturgie eucharistique proprement dite centre davantage encore l’attention vers Celui qui, selon les termes de la 2e prière eucharistique pour la réconciliation est « la Parole du salut pour les hommes, la main que tu tends aux pécheurs » et aussi « le chemin par où nous arrive la paix que tu donnes », soit « la véritable paix », selon la version antérieure de la traduction du Missel romain. Or comment laisser entrer dans nos vies cette « véritable paix » ? La prière sur les offrandes de la fête du Saint-Sacrement le laisse apercevoir : « Dans ta bonté, accorde à ton Église, les dons de l’unité et de la paix, signifiés mystérieusement par les présents que nous t’offrons ».
Or ces « présents » vont devenir sacramentellement le corps et le sang du Seigneur. On comprend qu’avec un tel regard sur ce qui se passe, on puisse entendre au cours de la prière eucharistique par où accomplit cette conversion une demande comme celle-ci : « par le sacrifice qui nous réconcilie avec toi, étends au monde entier le salut et la paix » (3e prière eucharistique, avec l’équivalent dans les autres prières).
Après la prière eucharistique, l’embolisme du Notre Père fait entendre la prière « délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps ». Mais l’assemblée est maintenant éclairée par tout ce qui s’est passé auparavant. C’est donc en conscience qu’elle s’adresse alors directement – c’est le seul moment de la messe à part le kyrie et l’agnus – au Ressuscité « toujours là auprès de son Église, surtout dans les actions liturgiques » (Sacrosanctum concilium 7). Le début de la prière actualise l’annonce pascale : « Seigneur Jésus Christ, tu as dit à tes Apôtres : “ Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix”… ». Il ne s’agit pas de n’importe pas quelle paix mais de celle manifestée autrefois par le Christ à ses disciples et qu’il continue à donner.
Cette éducation par la liturgie conduit donc à entrer dans la pleine signification du geste de paix. « Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous », « dans la charité du Christ, donnez-vous la paix » ? Oui, parce que la paix qui découle de « la participation fidèle aux saints mystères » est le chemin qui permet que « nous prenions davantage conscience de notre unité » [1] en nous menant en quelque sorte à sa source.
C’est dans cet esprit que l’assemblée chantera avant la communion l’Agnus Dei qui se termine tout naturellement par la demande : « Donne-nous la paix ». Et la prière après la communion du 20 décembre exprime bien à la fois la prise en compte du besoin de protection qui habite les hommes et la mise en relation qu’a opéré la messe : « Ceux que tu renouvelles par le don venu du ciel, garde-les, Seigneur, en ta divine protection : qu’ils trouvent, en communiant à tes mystères, la joie dans la paix véritable ».
Ainsi resitué dans nos besoins et devant Dieu source de paix, on peut alors accueillir, plus profondément qu’on ne l’aurait fait au début de la messe, cette partie de la première bénédiction solennelle prévue pour le temps ordinaire : « Que le Seigneur tourne vers vous son visage et vous accorde la paix » ou encore le début de la seconde bénédiction : « Que la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut concevoir, garde votre cœur et votre intelligence dans la connaissance et l’amour de Dieu et de son Fils, Jésus, le Christ, notre Seigneur ».
Un don à « faire fructifier de manière responsable »
Mais le besoin de paix demeure, très concrètement. Le « délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps » de l’embolisme du Notre Père l’exprime. De même la prière qui suit, adressée au Christ, ne se contente pas de le confesser comme Celui qui donne la véritable paix mais ajoute : « ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Église ; pour que ta volonté s’accomplisse, donne-lui toujours cette paix, et conduis-la vers l’unité parfaite ».
Comme autrefois pour les apôtres, cette paix est confiée à ceux qui la reçoivent. C’est ce qu’exprime la 2e prière eucharistique pour la réconciliation déjà citée : « Que ce même Esprit fasse de ton Église le signe visible de l’unité entre les hommes, et l’instrument de ta paix » jusqu’au jour où Dieu nous rassemblera « au banquet de l’unité à jamais accomplie, dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle où resplendit en plénitude la paix qui vient de toi ». En attendant ce jour, notre responsabilité est non seulement d’« accueillir avec générosité » le don de la paix signifié au cours de la messe et de le « garder avec soin » – envisagé sous cet angle, le rite du geste de paix appelle à entretenir l’unité au-delà de la célébration – mais aussi de « faire fructifier de manière responsable ».
Une modalité de cette responsabilité est la prière. Elle s’exerce de manière privilégiée lors la prière universelle. Mais ce service de la prière pour l’unité et la paix peut se manifester aussi par le choix de prendre dans le missel, notamment en semaine, les oraisons des messes votives dites « pour favoriser l’union des cœurs », « pour la réconciliation », « pour la paix et la justice », « en temps de guerre ou de troubles graves », « pour demander le pardon des péchés » ou « pour demander la charité ».
Même la formule d’envoi après la bénédiction finale exprime cet appel à faire fructifier ce don expérimenté dans et par la liturgie : « Allez dans la paix du Christ ». Le missel latin de 2008 a introduit trois nouvelles formules optionnelles [2]. On trouve donc aussi : « Allez porter l’Évangile du Seigneur », « Allez en paix » ou encore « Allez en paix, glorifiez le Seigneur par votre vie » (« Ite in pace, glorificando vita vestra Dominum »). À l’issue la messe, le « gloire à Dieu et paix aux hommes qu’Il aime » du Gloria se trouve réassumé d’une manière qui éclaire la destinée de l’homme et l’aide à se situer dans son temps. Chemin faisant, la messe aide en effet à intérioriser que la gloire de Dieu, c’est aussi l’homme vivant et rayonnant de la paix qu’Il donne et dont le Christ est le visage.