Le sacrement du mariage tel que la célébration en parle !
La théologie du mariage est sans-doute l’une des plus complexes en sacramentaire Cet article fait le choix de l’aborder en analysant l’itinéraire très éloquent que propose la célébration du mariage, telle que le rituel la présente. Les différents rites et les prières, mis en lien avec les Préliminaires, peuvent en effet constituer un lieu catéchétique majeur pour appréhender la sacramentalité du mariage. Ainsi, la pastorale du mariage gagne-t-elle à s’appuyer davantage sur le rituel pour développer les caractéristiques du mariage chrétien auprès des candidats, en partant de ce qu’ils demandent. L’examen des gestes, des oraisons, des bénédictions nuptiales, des préfaces et intercessions de la prière eucharistique, etc. ouvre à une compréhension théologale du mariage en évitant de l’aborder de manière juridique ou dogmatique comme cela a été souvent fait jusqu’ici. Ce faisant, il apparaît que le sacrement de mariage constitue un lieu privilégié pour mieux saisir ce que l’Eglise entend par « sacrement », dans le sens donné par Lumen gentium, comme « signe et moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain »1.
Comme pour tout sacrement, il y a plusieurs manières d’aborder la théologie du mariage. A la suite de Louis-Marie Chauvet2, parce que les sacrements procèdent toujours du corps, on peut estimer qu’une manière essentielle – la première ! – d’en comprendre la réalité théologale consiste à en examiner précisément la célébration rituelle. Les rites déployés et l’euchologie de la célébration disent à leur façon, et de manière décisive, ce qu’est le sacrement de mariage. Comment se fait-il alors que le rituel ait si peu de place dans nombre de préparations au mariage ? Certes, il n’est pas oublié, car on prend généralement soin de présenter aux futurs mariés les choix qui leur reviennent : choix des lectures, choix des prières et formules rituelles, en particulier. Mais le rituel reste alors cantonné à un rôle de catalogue à choix multiples, comme on le fait pour les autres éléments de la fête (choix de vêtements, des menus, des animations festives, etc.). Posons autrement la question : peut-on envisager préparer un couple au mariage, non pas en lui expliquant noir sur blanc ce que signifient les 4 piliers du mariage – liberté des époux, fidélité, fécondité et indissolubilité – auxquels ils sont tenus de souscrire (ce qu’ils font, au moins par nécessité, pour obtenir la célébration), mais en l’aidant à entrer dans le rituel de la célébration qu’ils demandent, en cherchant avec lui ce qu’il dit du mariage, de sa réalité théologale, de ses fondements et des engagements sur lesquels le couple s’avance ? Il s’agit alors d’appréhender le mariage non pas d’abord de manière moralisante, comme cela peut risquer d’être perçu, mais d’abord comme célébration chrétienne (qu’ils demandent) et qui donne sens à l’ensemble de leur vie conjugale. Ne soyons pas utopistes : cela ne résoudra pas toutes nos difficultés pastorales. Mais il est bien possible que ces difficultés puissent se déplacer pour se poser sur un terrain plus proche de ce que vivent les futurs couples, c’est-à-dire, finalement, sur un terrain plus sacramentel que canonique ou moral avec leurs règles plus ou moins respectées.
Pour avancer dans cette voie, se pose une question de méthode. Comment appréhender la théologie du mariage telle qu’elle se présente dans le Rituel3 ? Il n’est pas question d’imposer une manière de faire. Chaque équipe de préparation au mariage saura bien trouver la manière qui lui convient pour exploiter la richesse du Rituel et aider les couples (et eux-mêmes) à progresser dans la compréhension de ce grand mystère qu’est le sacrement du mariage, dans la mesure où il relie à la fois l’union intime et totale entre un homme et une femme, l’union intime de chacun et du couple avec Dieu et l’unité de la famille humaine. Certains travailleront de près les péricopes bibliques proposées dans le Rituel pour la liturgie de la Parole ; d’autres telle ou telle prière du Rituel, en particulier les bénédictions nuptiales ; d’autres examineront en détail l’itinéraire que fait faire la liturgie du mariage et la portée des différents rites qui se succèdent ; d’autres encore feront lire et travailler tel ou tel passage des Préliminaires du Rituel ; certains pourront même associer ces approches. Bien sûr, et nous avons pu l’expérimenter, le vocabulaire employé dans le Rituel n’est pas toujours aussi facile d’accès ! Comme d’ailleurs les textes du Concile, les écrits dogmatiques ou ceux de l’Ecriture. Il revient alors aux aînés dans le foi4 que sont les accompagnateurs de préparation au mariage, non pas de traduire, mais de chercher à comprendre avec les couples, en s’appuyant sur leur propre expérience et en déployant une pédagogie adaptée.
Il n’est donc pas question dans cet article de fournir un exemple reproductible mais d’essayer de montrer qu’il est possible d’appréhender le mariage chrétien, à partir de son déploiement rituel et de ses principales prières, pour y repérer quelques éléments d’une théologie en acte. Nous le ferons à partir de la célébration elle-même et pas seulement à partir des Préliminaires du rituel. Même si ceux-ci présentent, comme dans tout rituel, non seulement quelques consignes utiles à la mise en œuvre mais surtout une théologie du sacrement concerné, qui est particulièrement bien développée dans le Rituel du mariage. Cependant, les Préliminaires ne sont pas un exposé dogmatique que la célébration elle-même viendrait illustrer, ni même un programme assigné à la célébration ; ils témoignent surtout de la relation étroite qui unit la célébration liturgique et la compréhension théologique du sacrement. Le texte des Préliminaires « Importance et dignité du sacrement de mariage » (n. 1 à 11) est donc indissociable de la célébration présentée au chapitre 1 (Célébration du mariage au cours de la messe) et au chapitre 2 (Célébration du mariage en dehors de la messe), et même au chapitre 3 présentant la célébration dans des cas limites (Célébration du mariage entre une partie catholique et une partie catéchumène ou non chrétienne) et les différentes annexes. Ces préliminaires se comprennent à la lumière de la célébration et colorent celle-ci. C’est pourquoi, nous nous proposons, dans une première partie, de parcourir la célébration elle-même, telle qu’elle est présentée dans le chapitre 1 « Célébration du mariage au cours de la messe », étant entendu qu’elle constitue – chaque fois que possible – la forme privilégiée5, avec ses quatre éléments majeurs6 que constituent la liturgie de la Parole, l’échange des consentements, la bénédiction nuptiale et la communion eucharistique7. Dans une seconde partie, nous rassemblerons les aspects majeurs de la théologie du mariage qui se dégagent de ce parcours, puis nous conclurons sur la pertinence d’appréhender aujourd’hui la théologie des sacrements en général à partir du mariage.
En suivant la célébration du mariage au cours de la messe
Rites d’ouverture
Le Rituel propose deux formes possibles d’entrée en célébration : dans la première, le prêtre accueille les futurs époux à la porte de l’Eglise, puis une procession des servants avec le prêtre se rend à l’autel, suivi des époux avec leurs parents et/ou témoins (selon les coutumes locales) jusqu’à leur place ; dans la seconde, le prêtre les attend depuis le chœur ou à leurs places et les accueille devant tous. Déjà, dans ces deux formes, s’expriment des dimensions importantes du mariage : d’une part, son caractère public et social ; et d’autre part la prise en compte par l’Eglise de la réalité humaine que constitue le projet d’union entre cet homme et cette femme, chacun dans son contexte familial (les parents) et social (les témoins) particulier qu’il s’agit d’accueillir pleinement. En effet, que l’accueil se fasse à l’entrée de l’Eglise ou dans le haut de la nef, c’est bien cette réalité qui est accueillie dans toute sa densité humaine et qui s’approche librement de l’autel. Les mots adressés par le prêtre dans la salutation vont dans ce sens : « nous sommes venus accompagner N. et N. » ; « entourons-les de notre affectueuse amitié et de notre prière ; l’Eglise partage votre joie et vous accueille de grand cœur ». Ils invitent ensuite à écouter la parole de Dieu et à s’associer à l’Eglise dans la prière pour que Dieu bénisse et unisse ces époux pour toujours. La deuxième formule au choix insiste même davantage sur la dimension épiclétique de cette prière : « Que le Seigneur, du ciel, vous envoie son Esprit pour vous fortifier et vous protéger. Qu’il vous donne ce que désire votre cœur et qu’il accomplisse toutes vos demandes. » L’omission de l’acte pénitentiel ne fait qu’accentuer encore cet accueil inconditionnel et joyeux par l’Eglise des personnes telles qu’elles sont – étant entendu qu’une démarche pénitentielle et le sacrement de réconciliation auront pu être proposés au cours de la préparation, comme le suggèrent les Préliminaires au n.18.
La prière d’ouverture conclut, comme habituellement, ces rites préliminaires. Neuf oraisons sont proposées au choix. Chacune a ses points d’insistance et souligne, à sa manière, un aspect ou l’autre du mariage.
- N. 56 rappelle que le mariage accompli se fait signe de l’alliance du Christ et de l’Eglise et supplie le Seigneur de les aider à l’exprimer par toute leur vie.
- N. 57 rappelle la volonté de Dieu de faire de l’homme et de la femme une unité par un amour total et le supplie de les aider à s’aimer sans égoïsme.
- N. 58 souligne qu’ils sont venus jusqu’à l’autel pour s’engager et supplie le Seigneur de fortifier leur amour.
- N. 59 souligne qu’en venant recevoir le sacrement, l’homme et la femme portent un témoignage de foi et supplie le Seigneur de faire grandir cette foi, pour eux et leurs enfants.
- N. 60 rappelle que c’est en Dieu que s’origine la vie et la croissance du genre humain que déploie le mariage.
- N. 61 rappelle la bénédiction de Dieu au commencement du monde et le supplie d’aider les futurs époux à vivre unis, en communion d’esprit et en sainteté.
- N. 62 rappelle l’amour total de Dieu qui envoya son propre Fils, et le supplie pour que le Christ continuer de les aider pour toujours.
- N. 63 souligne qu’ils s’aiment déjà librement et qu’ils confient cet amour au Seigneur pour qu’il le consacre, le suppliant de les guider dans cette célébration et dans toute leur vie, fidèlement.
- N. 64 rappelle qu’ils sont venus confier leur amour à Dieu, le supplie de les soutenir, de soutenir l’assemblée dans sa prière et son affection, tout comme dans l’écoute de sa Parole et l’action de grâce.
Evidemment, une seule de ces oraisons est choisie dans la célébration ; remarquons cependant que l’ensemble euchologique proposé constitue un développement assez fin de la réalité théologale du mariage, de ses fruits et de la manière avec laquelle celui-ci exprime notre relation à Dieu : il peut valoir la peine de les regarder de près, dans leur ensemble, avec les futurs mariés pour mieux percevoir la réalité sacramentelle du mariage. Le choix de l’oraison pour la célébration n’en sera que facilité.
Liturgie de la Parole
Le Rituel dit peu de choses à propos de la liturgie de la Parole, seulement qu’on peut prendre deux ou trois lectures, dont l’Evangile, et avec une des lectures au moins qui parle explicitement du mariage. Après cela, « l’homélie expose le mystère du mariage chrétien, la dignité de l’amour conjugal, la grâce du sacrement et la responsabilité des époux, à partir des textes bibliques choisis et en tenant compte des personnes présentes. » (n. 67)
Il est clair que les lectures proposées au choix (Annexe 1 du Rituel) offrent non seulement la possibilité d’appréhender l’un ou l’autre aspect du mariage, selon le texte choisi, mais encore se présentent comme un véritable itinéraire, depuis les récits de la création dans l’Ancien Testament, jusqu’à Ephésiens 5, 32 : « Ce mystère est grand : je le dis en pensant au Christ et à l’Eglise. » Est-il possible alors d’envisager les propositions du Rituel, non comme un catalogue dans lequel chaque couple choisira le ou les textes qui lui parlent le mieux (ou qui le dérangent le moins !), mais comme la proposition d’un itinéraire de foi à parcourir ensemble ? Certes, peut-être pas avec tous les textes, car le temps est souvent compté, mais au moins avec plusieurs péricopes permettant de mieux saisir comment leur projet d’union rejoint le projet de Dieu8. Le choix des lectures pour la célébration, là aussi, n’en sera que plus aisé ensuite, selon ce qui aura marqué le couple et ses accompagnateurs durant le chemin parcouru.
Célébration du mariage
Le Rituel propose – ad libitum – de commencer le rite par la profession de foi. Comme l’avait précisé Philippe Gueudet9, lors de la parution de l’édition francophone du rituel, « il permet à ceux qui n’ont pas beaucoup l’occasion d’entendre la foi de l’Eglise d’en recevoir le témoignage ce jour-là » et ainsi de souligner que ce sacrement est bien célébré dans la foi de l’Eglise. Cette fides aliena (lorsque les futurs époux, ou l’un d’entre eux, ne peuvent confesser cette foi) marque alors combien « le sacrement suppose et requiert la foi » (Préliminaires 16 qui se réfère à Sacrosanctum concilium 59).
L’introduction au dialogue initial, adaptable, situe parfaitement ce qui se joue dans le mariage :
- la décision de s’unir et de se marier appartient librement aux deux futurs époux (c’est leur désir préalable et le mariage civil qui a précédé) ;
- ils sont venus demander que le Seigneur confirme cette décision par sa grâce : dans le sacrement Dieu vient rejoindre leur réalité humaine pour la consacrer ;
- cela se fait avec le concours de l’Eglise, devant son ministre et la communauté rassemblée qui les soutient ;
- cette grâce reçue du Seigneur va les enrichir et les fortifier pour qu’ils « se gardent toujours fidèles l’un à l’autre », qu’ils « portent ensemble toutes les responsabilités du mariage ».
Les conditions et la visée du sacrement sont annoncés.
S’ensuivent les deux formules, au choix et assez peu différentes, d’interrogation des futurs époux. Toutes les deux insistent sur le fait que les futurs époux viennent « d’écouter la parole de Dieu qui révèle la grandeur de l’amour humain et du mariage », ce qui leur permet de s’engager en connaissance de cause. Ainsi est posé un accent majeur de la sacramentalité du mariage. Symboliquement (car on espère que la préparation aura fait son œuvre), l’écoute de la parole de Dieu fait entrer dans la sacramentalité, en situant l’amour en Dieu comme essentiel pour l’être au monde, et comme décisif dans l’union d’un homme et d’une femme. C’est donc dans l’écoute de la parole de Dieu que se révèle pleinement le projet du couple établi dans le mariage et dont ce dialogue initial donne quelques caractéristiques majeures : un engagement libre et sans contrainte ; un amour mutuel et un respect pour toute la vie ; l’accueil des enfants (si cela est possible) pour les faire grandir dans la foi ; l’exercice de la mission de baptisé, dans le monde et dans l’Eglise.
L’invitation à l’échange des consentements des futurs époux est simple et souligne seulement que cela se fera en présence de Dieu et de l’Eglise. L’invitation à se donner la main pour échanger les consentements marque déjà l’unité qui les tient tous les deux et acte leur désir profond de s’unir sous le regard de Dieu. La 4e formule insiste en quelques mots sur la portée sacramentelle majeure de cet échange : « pour que vous soyez unis dans le Christ et que votre amour, transformé par lui, devienne un signe visible de l’amour de Dieu » !
L’échange des consentements dispose de 4 formulations. Dans la première, chacun reçoit l’autre comme époux(se) et lui promet fidélité en toutes circonstances pour l’aimer tous les jours de sa vie.
Les deuxième et troisième formules accentuent la forme dialogale, chacun interrogeant l’autre sur son intention avant qu’il ne reçoive l’autre comme époux(se) et promette de l’aimer fidèlement toute sa vie (2e formule), ou qu’ils promettent ensemble (en le disant simultanément) de s’aimer fidèlement dans le bonheur et les épreuves et de se soutenir toute leur vie durant. La quatrième formule est réservée, selon le discernement du pasteur, à des cas particuliers : le prêtre interrogeant lui-même chacun des futurs époux qui lui répondent « oui ».
Il peut être particulièrement intéressant de relever le vocabulaire employé : « je te reçois comme époux(se) » disent les 3 premières formules, et la troisième ajoute « et je me donne à toi ». Seule la 4e formule emploie (comme à la mairie) le verbe « prendre », mais son emploi est limité. Cela dit bien ce qui se joue dans le sacrement : chacun accueille l’autre qu’il a choisi, avec tout ce qu’il est ; chacun « reçoit » l’autre selon l’œuvre de Dieu ! Les autres mots employés – fidélité, promesse, don de soi, amour tous les jours de la vie quelles que soient les circonstances, soutien – sont remarquables : ils disent où se joue en premier lieu la sacramentalité du mariage, dans la mesure où ils se trouvent dans les paroles sacramentelles d’échange des consentements. Cela ne signifie pas que les autres aspects du mariage non mentionnés ici ont peu d’importance, mais qu’elles sont relatives à celles-ci. Par ailleurs, la forme dialogale, plus ou moins développée, souligne aussi à sa manière combien le mariage ne gomme pas la personnalité de chacun mais fait advenir une communion de deux personnes en Dieu.
La réception du consentement que prononce ensuite le ministre de l’Eglise est accompagnée du geste de la main étendue posée sur les mains jointes des époux. Cette dernière suggestion, qui a été bien reçue par la plupart des pasteurs, souligne corporellement ce qui se joue en parole : que Dieu confirme ce consentement exprimé par les époux en présence de l’Eglise, et qu’il bénisse les époux ! Voilà ce qui constitue le sacrement : l’échange humain d’une parole de réception de l’autre, de promesse d’amour et de fidélité, de don de soi et de soutien, confirmé par le Seigneur qui bénit en unissant de manière indéfectible : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » : bénédiction qui sera développée dans la bénédiction nuptiale prononcée ensuite.
La bénédiction et la remise des alliances constituent un rite adjacent dont la portée essentielle est de rendre visible ce qui vient d’être réalisé. Les alliances, signe de l’amour et de la fidélité partagée, sont mises en rapport avec l’Alliance en Jésus Christ (n. 87). La 2e formule (n. 85) suggère que ces alliances leur rappellent que c’est en faisant la volonté de Dieu qu’ils peuvent demeurer dans la paix.
Vient alors la bénédiction nuptiale qui, selon les Préliminaires 35, constitue un élément principal de la célébration du mariage avec la liturgie de la Parole et l’échange des consentements. En réalité, le chapitre 1 de la célébration du mariage au cours de la messe a maintenu – selon la tradition10 – la place de la bénédiction nuptiale au cœur de la liturgie eucharistique, après le Notre-Père, mais ouvre la possibilité de la placer après la remise des alliances comme dans le cas d’une célébration en dehors de la messe (chapitre 2). Cet emplacement constitue une chance pour mieux saisir la sacramentalité du mariage qui tient à la fois de l’échange des consentements et de la bénédiction nuptiale avec sa forme épiclétique, comme l’a montré Hélène Bricout11. Les nouveautés majeures du rituel la concernant sont connues, en particulier le fait qu’elle concerne désormais les deux époux et non plus seulement l’épouse12 et comprend une épiclèse. Sur les 6 prières proposées au choix, 3 sont des traductions13 de l’Ordo latin de 1991 (bénédiction nuptiale 1, 2 et 3 ; les deux dernières étant nouvelles) et 3 sont des créations francophones (bénédiction nuptiale 4, 5 et 6). Deux sont réservées aux célébrations au cours de la messe (bénédiction nuptiale 1 et bénédiction nuptiale 4) et une (bénédiction nuptiale 5) peut être utilisée pour un mariage mixte ce qui lui donne un intérêt particulier du point de vue œcuménique. à noter qu’une septième formulation figure dans le chapitre 3 Célébration du mariage entre une partie catholique et une partie catéchumène ou non chrétienne, traduite elle aussi de l’Ordo de 199114. Sans entrer dans l’étude détaillée de ces prières, nous pouvons noter combien elles constituent, chacune à leur manière, un véritable déploiement théologique de la sacramentalité du mariage.
Avec des formulations sensiblement différentes, et en soulignant chacune des aspects plus spécifiques, ces prières ont cependant une structure commune15. Comme dans toute prière chrétienne, elles-mêmes issues de la prière juive, elles commencent par reconnaître les merveilles de Dieu, tout en s’adressant à lui (a), avant de lui adresser nos propres demandes. Ici, il s’agit surtout de demander l’envoi de son Esprit Saint sur les époux (b) et d’obtenir les grâces attendues pour les nouveaux époux (c).
- La reconnaissance des merveilles de Dieu concerne d’abord l’acte créateur de l’homme et de la femme, à son image, qu’il a voulus profondément unis, puis le dessein de Dieu qui fait de l’amour de l’homme et de la femme un signe d’Alliance, exprimant le mystère d’union du Christ et de l’Eglise. La bénédiction nuptiale 4 (réservée pour des époux qui communient) est sensiblement différente, insistant sur la réception du corps du Christ en qui s’accomplit leur unité, et trouve davantage sa place après le Notre-Père, dans la continuité de la prière eucharistique qui a déjà rendu grâce au Seigneur pour ses merveilles. Les bénédictions nuptiales 5 et 6 ajoutent la référence explicite à la Pâque à « l’exemple du Christ, lui qui a aimé jusqu’à mourir sur une croix » (bénédiction nuptiale 5) : ce qui n’est pas sans intérêt pour souligner le rapport du sacrement de mariage au mystère pascal, comme pour tout sacrement.
- La formule épiclétique est plus ou moins développée : « mets en eux la puissance de ton Esprit Saint » (bénédiction nuptiale 1) ; « Envoie sur eux la grâce de l’Esprit Saint » (bénédiction nuptiale 2) ; « Que ta bénédiction descende en abondance sur eux. Que la force de l’Esprit Saint les enflamme de ton amour… » (bénédiction nuptiale 3). Dans les trois autres prières, la dimension épiclétique est tout aussi explicite mais formulée de manière moins impérative : la 4 précise que c’est « sous la conduite de ton Esprit Saint » qu’ils sont appelés à vivre et œuvrer pour le Royaume ; la 5e demande à Dieu de bénir, protéger et fortifier leur amour, et souligne que c’est avec la force de l’Esprit qu’ils accompliront leur mission ; enfin la 6e précise que le Dieu d’amour qui est béni est celui « qui envoie son Esprit ».
- Les finalités recherchées que déploie chaque prière sous forme d’intercessions sont relativement variées. Elles méritent d’être appréhendées de manière complémentaires dans la mesure où elles expriment, chacune, quelques aspects majeurs du mariage, en particulier : pour assurer la vie du foyer par le travail (bénédictions nuptiales 1, 3) ; pour que la femme réponde à sa vocation d’épouse et l’homme à celle d’époux (bénédictions nuptiales 1, 2) ; pour qu’ils soient davantage unis et fidèles (toutes) ; pour qu’ils découvrent dans le Christ la joie du don total à celui qu’on aime (bénédiction nuptiale 5) ; pour qu’ils recherchent avant toute chose le Royaume de Dieu et sa justice (bénédiction nuptiale 4, 6) et prennent part à un monde plus juste et fraternel (bénédiction nuptiale 5) ; pour qu’ils soient fermes dans la foi, que la puissance de l’Evangile les rende forts (bénédiction nuptiale 2) et qu’ils se tournent vers Dieu (bénédiction nuptiale 3) ; pour qu’ils soient tournés vers les pauvres (bénédictions nuptiales 4, 5, 6) ; pour qu’ils rendent grâce et louent le Seigneur (bénédictions nuptiales 3, 4) ; pour qu’ils accueillent et élèvent leurs enfants dans la foi (bénédiction nuptiale 4, 1, 2, 3, 6) ; pour que leur foyer soit ouvert aux autres (bénédiction nuptiale 5) ; pour participer un jour au festin du Royaume (bénédictions nuptiales 1, 2, 3, 6) ; pour qu’ils connaissent de longues années de bonheur (bénédictions nuptiales 6, 3, 5). Ce sont toutes les caractéristiques de la vie chrétienne initiée par le baptême qui sont ici déployées. Ainsi le mariage apparaît-il comme déploiement de la grâce baptismale – y compris dans sa dimension missionnaire – dans le cadre particulier du couple uni par le sacrement. La célébration du mariage ne se limite pas aux sentiments éprouvés et déclarés entre les deux époux !
Soulignons, au passage, l’intérêt particulier de la bénédiction nuptiale 5 dont la forme et le vocabulaire contemporains nous paraissent particulièrement bien convenir à la célébration du mariage de couples fréquentant peu l’Eglise, et qui insiste sur la vocation des mariés à participer activement à l’avènement du Royaume. Le mariage les députe aux œuvres et à la construction d’un monde plus juste et plus fraternel, les invitant à être fidèles à leur vocation humaine et chrétienne en constituant un foyer ouvert aux autres, attentif aux appels de leur prochain.
La prière des époux qui suit, telle que proposée par le rituel, est facultative mais s’est imposée pastoralement. De plus, elle gagne à être composée, au moins en partie, par les époux même si, comme chaque fois, le rituel donne un exemple indiquant la direction à suivre. Les propositions des n. 92 à 94 sont assez explicites et reprennent, sous un autre mode, les thèmes développés dans les bénédictions nuptiales : reconnaissance des merveilles de Dieu pour ce qu’il a fait pour les époux, au-delà des faiblesses de chacun ; demande de soutien pour être fidèles, constants, féconds, pour être de bons témoins de l’amour et œuvrer ensemble dans le monde ; etc.
La prière universelle élargit la prière de toute l’assemblée au-delà d’elle-même, soulignant encore, s’il en était besoin, que le mariage n’est pas refermé sur la vie de couple mais déploie la vocation humaine et chrétienne des deux époux, auprès de leurs proches et parents, et aussi dans le monde. La prière conclusive (n. 101) souligne la dimension épiclétique de la célébration en reprenant une nouvelle fois la demande que « l’Esprit soit répandu sur ces époux pour qu’ils soient un seul cœur et une seule âme ». Mais on pourra préférer la proposition n. 100 qui élargit la demande à l’assemblée pour que tous soient remplis de l’Esprit-Saint.
Liturgie eucharistique
Nous ne développerons pas ici cette partie de manière détaillée, d’autant qu’aujourd’hui, le plus souvent, la célébration du mariage se fait en dehors de la messe. Cependant, puisqu’un lien étroit unit le mariage comme sacrement de l’Alliance à la célébration de l’eucharistie, mémorial de la Pâque par laquelle l’Alliance définitive est scellée, il n’est pas facultatif d’appréhender la liturgie eucharistique pour mieux saisir ce qu’est le sacrement de mariage ! De ce point de vue, il est sans doute regrettable que cela soit peu évoqué dans nombre de préparations au mariage. Certes, les eucharisties ont largement diminué à cause, d’une part, du faible engagement dans la foi et dans la vie de l’Eglise de nombre de fiancés (ou de l’assemblée qu’ils auront invité), et d’autre part, à cause du nombre de mariages désormais conduits par un diacre. Mais, si l’eucharistie ne peut pas être célébrée lors du mariage, faut-il pour autant faire l’impasse sur ce que l’eucharistie dit du mariage et sur ce le rapport du mariage à l’eucharistie ? Si l’on veut que les mariées aient une chance d’oser s’approcher de la table du Seigneur, il est opportun de les y aider ! Il ne s’agit alors pas seulement d’expliquer ce qu’est l’eucharistie dans une catéchèse adaptée (cela peut se faire dans un autre cadre), ni d’entrer dans des questions théologiques délicates (sauf si les fiancés demandent quelques explications). Il s’agit surtout de mesurer comment l’eucharistie – mémorial de la Pâque du Christ – éclaire de manière particulière le mariage comme don total et comme passage avec le Christ de la mort à la vie. Là encore, le travail ne manque pas pour élaborer les outils pastoraux qui le permettraient.
Notons seulement quelques éléments apportés par le rituel. Sur les cinq propositions de prières sur les offrandes, les trois premières – issues du rituel romain – soulignent que l’offrande est présentée pour les nouveaux mariés afin que Dieu veille sur cette union et les aide à croître. Les deux dernières, propres au rituel francophone, soulignent davantage le rapport au mystère pascal du Christ : son sacrifice par lequel est « scellé l’éternelle Alliance d’amour » (n. 106) et « preuve d’amour suprême » (n. 107), ouvrant les nouveaux époux à la grâce d’un amour durable et fidèle. En fait, ce sont surtout les préfaces propres qui colorent particulièrement la compréhension que nous pouvons avoir du sacrement de mariage, situant ce dernier dans le plan de salut de Dieu pour enrichir l’humanité et l’Eglise, annonçant combien la fécondité attendue ajoutera à la beauté du monde et à la croissance du peuple saint (n. 108). La seconde et troisième préface proposées situent merveilleusement le sacrement de mariage comme signe efficace de la nouvelle alliance opérée par la mort et la résurrection du Christ par laquelle nous participons à sa nature divine (n. 109), et comme image de l’amour de Dieu pour l’humanité (n. 110). La quatrième, propre au rituel francophone, souligne combien Dieu est proche des époux, de ce qui constitue leur quotidien fait de peines et de joies, pour les aider à grandir et combler leur espoir (n. 111).
Les communicantes proposés pour les 3 premières prières eucharistiques ajoutent la demande particulière « d’exaucer leur désir d’avoir des enfants et … de vivre longtemps dans le bonheur » (PE I), « de leur accorder une longue vie dans l’amour et la paix » (PE II) ou « de les fortifier … pour qu’ils gardent toute leur vie l’engagement qu’ils ont pris devant Dieu » (PE III). Les prières après la communion insistent également sur le fruit de cette eucharistie pour permettre aux nouveaux époux d’être davantage unis (n. 121), davantage attachés à Dieu et témoins de son amour dans le monde (n. 122). Comme pour les prières sur les offrandes, les oraisons après la communion propres au rituel francophone semblent plus explicites pour nommer la dimension pascale du mariage : « Que le corps livré et le sang versé pour l’Alliance éternelle consacre l’union de N. et N. et renouvelle chacun de nous dans sa propre fidélité à toi. » (n. 124)
Bénédiction finale
Le rituel propose 6 bénédictions finales au choix. Les trois premières, issues du rituel latin, sont solennelles et structurées en 4 parties ponctuées du Amen de l’assemblée. Les trois dernières, d’origine francophone, comportent un paragraphe déployé avant l’ Amen de l’assemblée dans une forme similaire aux Prières sur le peuple du Missel romain. Ces formulaires constituent un ensemble riche pour mesurer les fruits du mariage et ce qui permet de les atteindre. Ils peuvent constituer, eux aussi, un moyen particulièrement pertinent pour appréhender les finalités du sacrement de mariage lors de la préparation (tout en favorisant le choix de la bénédiction la mieux adaptée au couple) : rester unis dans un mutuel amour ; faire grandir cet amour venu du Seigneur ; être habités de la paix du Christ, dans le couple, à la maison et au travail ; être bénis dans des enfants ; être entouré de vrais amis et vivre dans la paix ; être témoins de l’amour de Dieu, de la résurrection du Christ ; soutenir les malheureux et les pauvres ; montrer la lumière du Seigneur à ceux qui le cherchent ; se mettre au service du monde en témoignant de l’Evangile ; avancer ensemble vers une même sainteté ; etc.
La proposition d’un souvenir offert aux époux à la fin de la célébration, et la signature des registres constituent, en eux-mêmes, des actes marquant la pérennité voulue de ce qui a été célébré.
Aspects majeurs de la sacramentalité du mariage révélé par le rituel
A l’issue de cet examen succinct et partiel du rituel, il nous est possible de synthétiser quelques aspects théologiques de la sacramentalité du mariage particulièrement mis en valeur par le rituel. Nous ne ferons ici que les citer : ils mériteraient, bien sûr, d’être davantage explicités : ce pourrait être l’objet d’un travail d’équipe, dans un doyenné ou un service diocésain !
Le sacrement de mariage comme consécration d’une relation humaine existante
En effet, comme nous l’avons déjà souligné, la relation d’amour partagée entre un homme et une femme constitue déjà une réalité naturelle, humaine dans l’ordre de la création, et le sacrement commence par reconnaître cette réalité pour la consacrer, lui donner une autre dimension en Jésus Christ, celle d’une communauté de personnes dans la communion16. Sous cet aspect, le mariage civil précédant le mariage religieux, en France, peut être considéré d’un point de vue pastoral comme une chance permettant de marquer davantage cet aspect du mariage des baptisés. Le sacrement vient alors transformer cette réalité pour l’ouvrir à l’alliance selon le projet de Dieu, à un amour toujours à construire dans l’apprentissage du don total de soi (comme le dit la bénédiction nuptiale 5).
Le sacrement de mariage non seulement comme contrat établi entre un homme et une femme sous le regard de Dieu et de l’Eglise, mais aussi et surtout comme grâce reçue
En effet, non seulement les Préliminaires du rituel soulignent la dimension théologale et pas seulement juridique du mariage, dans le sens voulu par Vatican II, mais surtout les rites liturgiques eux-mêmes situent l’échange des consentements dans une ritualité d’alliance (cf. ce qui précède et ce qui suit), et l’associe à la bénédiction nuptiale. La forme épiclétique de cette dernière souligne combien le sacrement est une grâce transformante qu’il convient d’accueillir comme un don à faire fructifier dans un travail permanent. Les mots choisis pour l’échange des consentements (les époux se reçoivent et se donnent mutuellement l’un à l’autre), et les prières de demande adressées à Dieu pour les mariés, tout au long de la célébration, soulignent également cette dimension : le sacrement de mariage est d’abord une grâce reçue de Dieu ! Il reste, cependant, encore bien du travail pour que cela paraisse aussi évident pour nos contemporains !
Le sacrement de mariage comme moyen privilégié pour articuler relation humaine et relation à Dieu
En effet, si le rituel ne cesse de reconnaître la réalité humaine de la relation d’amour entre les deux futurs époux, il cherche dans le même temps à la faire grandir par la grâce de Dieu et à la transformer pour qu’elle participe davantage au projet de Dieu qui est d’unir toute l’humanité à lui dans une relation d’amour. Autrement dit, la liturgie du mariage articule de manière sensible la relation humaine d’amour à la relation à Dieu en offrant les bases d’une vie nouvelle. Ainsi, la relation à Dieu n’apparaît pas désincarnée, située exclusivement dans un rapport entre Dieu et « moi », mais au cœur même des relations humaines quand elles sont d’amour : l’amour du conjoint est un lieu de révélation de l’amour de Dieu.
Le sacrement de mariage comme acte trinitaire
En établissant les époux dans la relation à Dieu le Père, par le don de son Esprit et en configurant leur relation au Christ accomplissant l’Alliance, la célébration du mariage déploie à sa manière un cadre trinitaire remarquable. Elle pourrait même s’avérer être un lieu catéchétique particulièrement pertinent pour appréhender ce grand mystère ! L’examen attentif de certaines prières, y compris celles prévues pour l’eucharistie même si elle n’est pas envisagée lors de la célébration du mariage, pourrait constituer un lieu catéchétique intéressant pour nommer et appréhender l’unité des trois personnes de la Trinité.
Le sacrement de mariage comme signe majeur de l’Alliance
C’est parce qu’il est acte trinitaire, que le sacrement articulant la relation d’amour humain à la relation d’amour de Dieu, se trouve en capacité de dire quelque chose de l’Alliance. Les références fréquentes à l’association des images du mariage et de l’union du Christ avec l’Eglise, permettent de mieux saisir la nature de cette Alliance que Dieu réalise avec son peuple à partir du sacrement de mariage. Non pas seulement à partir de la réalité vécue, mais par le projet de vie accomplie dans la fidélité que la célébration met en lumière dans ses rites et ses prières. Le sacrement de mariage apparaît bien comme lieu majeur de révélation du projet de Dieu, d’une Alliance nouvelle et éternelle scellée avec l’humanité par amour. Ainsi, la célébration du mariage n’est pas seulement l’objet d’une demande de la part des futurs époux au regard de leur propre histoire, mais bien réponse à un appel de Dieu, une vocation particulière17.
Le sacrement de mariage comme fondation d’une vie de sainteté
On ne peut qu’être marqué par le nombre de demandes, d’intercessions, que comporte la célébration du mariage. On pourrait presque en déduire que cela ne fait que souligner des difficultés prévisibles du couple à tenir les engagements pris devant l’Eglise ! En réalité, cela souligne surtout la dimension eschatologique du sacrement de mariage18, comme c’est le cas pour tout sacrement. Le sacrement de mariage vient raviver le baptême et colorer la manière d’en vivre, donnant un élan nouveau à la mission que Dieu donne à ses enfants (l’euchologie eucharistique est, sur ce point, particulièrement révélatrice). Cela peut interroger aussi notre compréhension de l’efficacité sacramentelle. Sans entrer dans des débats complexes de spécialistes, la célébration du mariage telle que prévue par le rituel invite à envisager le sacrement d’abord comme acte fondateur qui porte des fruits, mais dont le résultat n’est pas à notre portée avec nos seules forces, et dont le travail se situe dans une durée que nous ne maîtrisons pas. « Le oui échangé n’est que le début d’un itinéraire », dit le pape François19.
Le sacrement de mariage comme lieu fondateur d’une juste articulation entre relation duelle exclusive et relations sociales, communautaires
Comme tout sacrement, le mariage s’adresse d’abord aux époux, et le rituel – dès le début de la célébration – souligne bien la joie de l’Eglise qui accueille ces deux époux dans leur projet. Le rituel ne cesse de prendre à témoin l’assemblée et toute l’Eglise. Ainsi, la relation d’amour particulière qui les lie peut se nourrir de la relation, qu’ensemble et aussi individuellement, ils peuvent établir avec leur famille, leurs amis et toute l’Eglise. Plus encore, dans ses prières (voir entre autres, les bénédictions nuptiales 4, 5, 6), le rituel invite les futurs ou nouveaux époux à laisser déborder leur amour au-delà de leur couple, après de leurs amis bien sûr mais aussi auprès des pauvres et des malheureux qu’ils ont à servir : la grâce que Dieu fait dans le sacrement se fait invitation à ouvrir leur amour réciproque et à nouer des relations d’amour fraternel au-delà du couple. Le sacrement de mariage a bien une portée sociale et politique (au sens premier du terme) majeure comme l’exprimait avec force le Concile Vatican II20.
Dans ce sens, on peut dire du sacrement de mariage qu’il se fait envoi missionnaire
Il faut l’entendre au sens propre du mot « mission » désignant d’abord le débordement jusqu’à nous de l’amour unissant le Père et le Fils dans l’Esprit. Dans le sacrement de mariage, l’amour partagé et vécu à l’intérieur du couple est appelé à déborder pour se répandre auprès des enfants accueillis, bien sûr, mais aussi, auprès des amis, des voisins et collaborateurs, et finalement auprès de toutes les personnes rencontrées, surtout les plus faibles. C’est ainsi que le mariage se trouve en capacité de participer au projet de Dieu, c’est-à-dire de contribuer à faire grandir l’humanité dans l’amour de Dieu. A l’opposé du repli sur soi, sur le couple, le sacrement de mariage introduit ce dernier dans la mission de l’Eglise, l’ouvrant à une vie féconde, qui porte du fruit et se met au service de la Vie.
Le sacrement de mariage comme mémorial pascal
Comme pour toute liturgie, la célébration du mariage nous ramène au « chemin pascal ouvert par le Christ où l’on consent à mourir pour entrer dans la vie »21. Cette dimension du mariage semble peu évidente a priori, sauf peut-être lorsque celui-ci est célébré au cours d’une eucharistie. Et encore, il n’est pas aussi évident de comprendre le rapport entre le sacrement perçu surtout dans l’échange des consentements et l’eucharistie ! C’est là sans doute que certaines prières du rituel du mariage peuvent s’avérer précieuses, en particulier celles d’origine francophone qui marquent davantage cette dimension. On peut y saisir le sacrement de mariage dans toute son épaisseur : comme moyen pour faire avancer le projet de Dieu (cf. précédemment) qui s’est accompli dans la mort et la résurrection de son Fils Jésus Christ ; comme don réciproque de l’un à l’autre se faisant « image imparfaite »22 du don total que le Christ a fait de sa vie pour nous sauver ; comme acte par lequel les époux sont configurés au Christ passant de la mort à la vie, passage qui donne vie, qui ouvre à la mission.
La dimension ecclésiale du sacrement de mariage
L’article de Luc Forestier dans ce même numéro23 développe bien cette dimension, surtout à partir des Préliminaires du rituel. Notre exploration de la célébration elle-même, par ses rites, par la place particulière du ministère ordonné, par la formulation de ses prières, désigne fortement la dimension ecclésiale de ce sacrement. De ce point de vue, le rapport du mariage au baptême n’est pas anodin, même s’il est très peu développé dans l’euchologie (ce qui peut – par ailleurs – faciliter le dialogue pastoral lors de mariages dispars ou lorsque l’un des deux est peu à l’aise avec la foi de l’Eglise). Il vaut la peine de le souligner à partir de quelques rites24, et surtout par la proposition du sacrement de pénitence-réconciliation au cours de la préparation. Comme le faisait déjà le pape Paul VI dans son encyclique Humanae vitae 25 : « Les époux chrétiens, dociles à la voix de Dieu, doivent se rappeler que leur vocation chrétienne, commencée par le baptême dans son articulation au baptême, s’est par la suite spécifiée et renforcée par le sacrement de mariage ». Ce déploiement de la vocation baptismale à travers le sacrement de mariage peut, bien sûr, offrir l’occasion de proposer le sacrement de confirmation à ceux qui, baptisés, ne l’auraient pas encore reçu25, non comme régularisation d’une situation ecclésiale peu conforme, mais comme véritable chance26 offerte d’être confirmé par Dieu dans une vocation baptismale appelée à grandir dans le mariage. Enfin, comme nous l’avons signalé précédemment, la possibilité de la célébration eucharistique au cours du mariage ou d’une célébration eucharistique ultérieure offre l’opportunité, non seulement d’enraciner le sacrement du mariage dans le mémorial de la Pâque du Christ, mais encore d’en souligner la portée ecclésiale, en abordant l’eucharistie par son fruit27 essentiel qui est de sanctifier les participants dans une relation d’unité dans le Christ, en Eglise.
Conclusion
Au terme de cette exploration du rituel, nous pouvons au moins retenir deux convictions essentielles. La première, déjà exprimée plusieurs fois, est que le rituel constitue une ressource considérable pour appréhender la sacramentalité du mariage et sa réalité chrétienne, dans la foi. Non pas sous un aspect canonique, juridique plus ou moins rigide (l’enjeu du dialogue pastoral étant alors de tenir la double contrainte de l’accueil bienveillant maximal et du respect des exigences de l’Eglise), ni sous un aspect dogmatique ou d’une catéchèse basée sur des concepts (cf. la conception chrétienne du mariage), mais à partir de la célébration qu’ils demandent et qu’ils auront davantage le goût d’explorer dans la mesure où cela les concerne de près. Cela n’évitera pas, bien sûr, de se confronter aux exigences de l’Eglise mais peut permettre d’en trouver la cohérence à partir du désir même des candidats.
La seconde conviction qui se dégage de ce parcours est la capacité du mariage, comme sacrement, à dire quelque chose de juste et de pertinent pour notre époque sur la sacramentalité. En effet, si les catégories médiévales nous semblent aujourd’hui peu pertinentes pour comprendre le sacrement de mariage et ont conduit à une approche trop juridique de la sacramentalité, on peut dire – a contrario – que le sacrement de mariage se trouve être aujourd’hui un appui particulièrement opportun pour aborder les sacrements de l’Alliance à la manière de Vatican II. Les éléments de sacramentalité que nous avons mis à jour à partir du rituel rejoignent, en effet, les caractéristiques de tout sacrement « signe et moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité du gendre humain » (LG 1). Comme le mariage, en effet, tout sacrement est signe et opérateur d’alliance, grâce sanctifiante de Dieu qui vient rejoindre et transformer une réalité humaine concrète, évènement fondateur d’une vie enracinée en Christ par l’accueil de son Esprit pour déployer le projet du Père, etc.
Si le mariage sacramentel pleinement accompli est signe de l’union du Christ et de l’Eglise, alors le sacrement célébré au cœur même de notre humanité peut être signe de la rencontre du Christ avec son peuple.
Ce texte reprend la presque totalité d’un article intitulé paru le numéro 289 de la revue La Maison-Dieu (2017/3, pp. 99-122). L’ensemble de ce numéro 289 publié par les Editions du cerf est consacré au « Sacrement du mariage. Recherches théologiques et pastorales ».
Philippe Barras, directeur de la rédaction de La Maison-Dieu
Philippe Barras enseigne au Theologicum de l’Institut catholique de Paris, et plus particulièrement à l’Institut supérieur de liturgie où ses travaux portent sur l’anthropologie de la liturgie et les questions de pastorale sacramentelle. Il enseigne la pastorale du mariage à la faculté de théologie de l’Université catholique de Lille. Il est par ailleurs directeur du Centre interdiocésain de formation pastorale et catéchétique de Lille et dirige la rédaction de La Maison-Dieu.
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1. Cet article reprend la presque totalité d’un article intitulé « Sacramentalité du mariage selon le Rituel L’itinéraire éloquent que propose la célébration » paru le numéro 289 de la revue La Maison-Dieu (2017/3, pp. 99-122).
2. Louis-Marie Chauvet, Les sacrements, Parole de Dieu au risque du corps, Paris, éd. de l’Atelier, « Vivre, croire, célébrer », 1997.
3. Nous le ferons exclusivement, dans cet article, sur le rituel francophone de 2005 : Rituel romain de la célébration du mariage, éd. Desclée/Mame, 2005.
4. Selon la belle expression employée dans le Texte national d’orientation pour la catéchèse en France, Bayard – Cerf – Fleurus/Mame, coll. « Documents d’Eglise », 2006, pour désigner les catéchistes.
5. Préliminaires, n. 29 (citant Sacrosanctum concilium n. 78) : « Le mariage sera célébré ordinairement au cours de la messe. Cependant, le curé, compte tenu des nécessités pastorales et du degré de participation à la vie de l’Eglise des futurs époux ou des personnes présentes, verra s’il vaut mieux proposer la célébration du mariage au cours ou en dehors de la messe ».
6. Préliminaires, n. 35.
7. Le Rituel ne présente que deux différences marquantes entre le chapitre 1 (au cours de la messe) et le chapitre 2 (en dehors de la messe) : (a) dans le chapitre 2 ne figure évidemment pas la liturgie eucharistique mais seulement la prière du Notre-Père ; (b) la bénédiction nuptiale (bénédiction nuptiale) y est différente, le chapitre 1 comprenant les bénédiction nuptiale n. 1 et 4 spécialement prévues pour des époux qui communient.
8. A titre d’exemple, citons un prêtre du diocèse d’Arras (Père V. Blin) qui tente d’ouvrir les fiancés au sens du mot sacrement grâce à un parcours biblique : « De Mc 10, 6-9 (ne séparez pas ce que Dieu a uni), je fais le parallèle avec Matthieu, et cela nous amène à Gn 1 pour découvrir un premier sens du mot « sacrement » : révéler aux hommes le secret de leur existence qu’est l’amour qui donne sens à notre histoire humaine. Puis Gn 2, où Dieu intervient (cf. la Loi donnée à Moïse) compte tenu du doute des hommes qui cherchent à s’en sortir seuls… Ainsi toute la bible (Cf. un petit parcours dans les prophètes, puis les évangiles proposés dans Fêtes & Saisons) rapporte comment Dieu tente de dire aux hommes, au cœur de leurs évènements heureux et malheureux, que leur vérité est que Dieu les aime et qu’ils sont vraiment eux-mêmes quand ils aiment. C’est cela que Jésus est venu rappeler et annoncer par sa mort sur la Croix : faire entendre ce message d’amour jusqu’à l’extrême (Rm 12). C’est cela que fait à sa manière le sacrement de mariage dans lequel l’amour partagé entre un homme et une femme se fait parole de Dieu pour dire au monde que l’amour est le secret du bonheur (Col 3, 12-17), même si les résistances et les tentations restent nombreuses pour ne compter que sur soi. Dans le sacrement, le mariage devient alors non seulement une parole mais un acte qui fait grandir le règne de l’amour dans le monde, un acte dans lequel le projet de Dieu grandit parce que Dieu croit en nous… » (notes d’une intervention orale le 30 avril 2010 lors d’une session à Condette, Maison des Tourelles)
9. Philippe Gueudet, « L’édition française du Rituel romain du mariage », LMD 244, 2005, p. 16.
10. En réalité, la tradition, et même la tradition romaine ancienne, connaît des places variables. Le plus ancien témoin, le Veronense (VIe siècle ; voir Leo Cunibert Mohlberg, Sacramentarium veronense, Rome, Herder, RED – Fontes I, 1956, p.139-140) place la bénédiction nuptiale après la prière de post-communion, tandis que les sacramentaires gélasiens et grégoriens la placent après le Notre Père – c’est celle qui a été retenue comme « place traditionnelle » dans la justification de cet emplacement. Les liturgies médiévales et post-tridentine témoignent également de places variables.
11. Voir l’article dans ce numéro p. XX-XX. Egalement H. Bricout, « « L’Esprit qui achève toute sanctification ». L’épiclèse au cœur du rite », dans LMD 287, pp. 49-69.
12. Voir Philippe Gueudet, LMD 244, p. 12-13 ; Paul De Clerck, « Ressources du nouveau rituel de 1991 : une théologie en voie de développement », dans Louis-Marie Chauvet, dir., Le sacrement de mariage entre hier et demain, éd. de l’Atelier, Coll. Vivre-Croire-Célébrer, 2003, p. 144-145.
13. Pour l’étude historique et théologique des 4 bénédictions nuptiales de l’Ordo de 1991, voir Jan Michael Joncas, « Les bénédictions nuptiales dans le rituel du mariage de 1991 », LMD 244, p. 19-44.
14. Il s’agit en fait de la bénédiction nuptiale 3 remaniée pour tenir compte de la situation.
15. La 6e prière a une structure sensiblement différente en forme de louange continue avec un refrain « Bénis sois-tu, Seigneur, ton amour fait pour nous des merveilles ».
16. Cf. Jean-Paul II, Exhortation apostolique sur la famille Familiaris consortio, 22 novembre 1981, n. 18.
17. Voir P. Fournier, « Le mariage peut-il être proposé et vécu comme vocation ? », Prêtres diocésains, février 2003, 55-71.
18. Voir l’article de Fr. Patrick Prétot dans ce même numéro, p. XXX.
19. Amoris laetitia, Ch.6 (en particulier n. 218).
20. Cf. Apostolicam actuositatem 11 : « Le Créateur a fait de la communauté conjugale l’origine et le fondement de la société humaine… », ce que développe Jean-Paul II dans Familiaris consortio 42-48.
21. Jean-Paul II, Vicesimus quintus annus, n°6.
22. Le pape François parle « d’analogie imparfaite entre le couple mari – femme et celui Christ – Eglise », Amoris laetita, n. 73.
23. P. XX-XX.
24. Par exemple : le signe de croix et les paroles de la salutation d’ouverture, ou la proposition de la profession de foi.
25. Selon les indications des Préliminaires 18.
26. Voir mes articles dans Célébrer 280, mai 1998, p. 15-16, et dans Ecclesia 10, SNCC, juin 2011, p.22-25.
27. Voir Enrico Mazza, « Les fruits de l’eucharistie : clé d’une sacralité chrétienne », Transversalité 112, DDB, octobre-décembre 2009, p. 39-62.