Mémorial

Le memoriale latin correspond au zikkâron hébraïque et à l’anamnè-sis grecque (ou mnèmosunon). Chacun de ces mots exprime l’acte liturgique qui « rappelle » au souvenir de Dieu l’assemblée célé­brant l’Alliance (Gn 8, 1 ; 9, 15 ; 19, 29 ; Ex 2, 24 ; 6, 5 ; 28, 12.29 ; 39, 7 ; Lv 2, 2.9.16, etc. ; Nb 5, 15 ; 10, 9 s. ; 1 R 17, 18 ; 18, 26.29 ; Lc 1, 54.55, 72) ; la mémoire du Peuple se joignant la mémoire de Dieu, le mémorial actualise véritablement les hauts faits fondateurs de l’Alliance.

Dans les religions païennes, il n’est pas d’histoire du salut. L’écou­lement du temps rend vive la nostalgie des origines, de cet âge d’or primordial qui est celui de l’activité des dieux. Le monde est sorti de ce Temps mythique par un processus de dégradation. Pour conjurer l’usure des choses, les actes liturgiques restaurent la durée humaine et cosmique dégradée dans la plénitude du Temps originel.

C’est le mythe de l’éternel retour, rendu possible par les cycles liturgiques, greffés sur les cycles cosmiques. Les grands courants philosophiques, de Platon à Spinoza, Leibniz et Hegel, ont repris ce schéma désintégration-réintégration. La Révélation judéo-chré­tienne ne peut que refuser ces conceptions émanatistes, plus ou moins panthéistiques, qui introduisent dans la divinité la nécessité cyclique de s’aliéner et de se reprendre.

Dieu, dans sa vie trinitaire, est bien la source et la fin de toute créature, mais sa création est une initiative prise librement ; elle ne le nécessite ni ne le désintègre en aucune façon. L’origine et le terme de la création sont donc situés hors du temps, hors de l’histoire, mais la durée des créatures s’inscrit dans une perspective linéaire et non cyclique. Un être humain, vivant dans le monde terrestre, est soumis à la succession temporelle : son présent suppose un passé et prépare un avenir.

Quand Dieu choisit librement d’ins­taurer avec la communauté humaine des relations privilégiées, il doit poser des actes tels qu’ils puissent être situés dans le temps, tout en dépassant l’ordre strictement temporel. Son dessein d’Alliance ne vise pas seulement des personnes, mais un Peuple : il implique de la sorte une histoire, c’est-à-dire une succession temporelle, se développant à l’échelle de multiples générations.

Quand Yahvé s’est lié à Israël au Sinaï, cet acte historique d’alliance était bien inscrit dans le temps, tout en dépassant l’ordre temporel. Le dessein de Dieu, comme son acte et son être, qui ne se distinguent pas, est unique : c’est pourquoi tout acte d’alliance posé par Dieu assume et accomplit les actes d’alliance précédents, et comprend virtuellement les actes d’alliance qui devront être posés dans l’avenir (voir Alliance, Histoire du salut). La liturgie, qui est la rencontre de Dieu et de son Peuple pour la célébration de leur Alliance (voir Liturgie), unit la communauté humaine, dans l’acte même de la rencontre, au dessein éternel de Dieu, et « télescope », pour ainsi dire, la succession historique.

Tout acte liturgique actualise dans le présent l’Alliance précédente et anticipe l’Alliance plus parfaite qui doit suivre. L’Alliance du Sinaï accomplit non seulement les Alliances avec les Patriarches, mais aussi l’Alliance avec Noé, qui est le fondement révélé des religions païennes, en ce qu’elles ont gardé de vérité dans leurs relations avec Dieu ; inversement, l’actualisation liturgique de l’Alliance du Sinaï manifestera de plus en plus, grâce à l’action des Prophètes, son orientation vers une Alliance nouvelle et éternelle, qu’elle anticipe pour les meilleurs des Israélites, ceux qui vraiment rencontrent Dieu dans leur culte, quelle que soit la manière dont ils le comprennent.

Quand Jésus, vrai Dieu et vrai Homme, offre au Calvaire le sacri­fice de la nouvelle Alliance dans son propre sang, les derniers temps sont advenus (Ac 2, 17). L’Eucharistie actualisera pour les croyants l’Heure centrale de l’histoire du salut, en anticipant la consommation de cette Alliance dernière dans la Jérusalem céleste, quand Dieu « se souviendra » du Messie pour le faire advenir en sa Parousie. N’est-ce pas ce que chante l’Antienne des secondes Vêpres du Saint-Sacrement : « Banquet très saint où le Christ est reçu en nourriture : le mémorial de sa passion est célébré, notre âme est remplie de sa grâce, et la gloire à venir nous est déjà donnée, alleluia » ? Tel est le sens intégral de l’ordre de réitération donné par Jésus à la Cène : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 24.25).

Si le mémorial liturgique ne tenait qu’à notre mémoire humaine, il ne saurait dépasser la réalité d’une commémoraison festive. Mais comme il engage d’abord la « mémoire » active de Dieu, pour qui « l’Agneau est immolé depuis le commencement du monde » (Ap 13, 8 : lecture de la Vulgate, autorisée par toute une tradition), il rend présent tout le « Mystère » (cf. Ep 1, 9 ; 3, 1-13), qui inclut, tout en les dépassant, nos catégories de passé, de présent et d’avenir. Ainsi, tout acte liturgique, qui joint notre souvenir au souvenir de Dieu, est-il pour nous une certaine participation à l’éternité de Dieu. Voir Eucharistie, Mystère, Anamnèse, Avent.

Dom Robert Le Gall – Dictionnaire de Liturgie © Editions CLD, tous droits réservés

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