La Maison-Dieu n°297 : Le travail de traduction du Missel de 1970
A l’occasion du cinquantième anniversaire de la constitution apostolique Missale romanum, la revue d’études liturgiques et sacramentelles La Maison-Dieu consacre son 297e numéro au travail de traduction en français du Missel. Ce volume de la revue trimestrielle du SNPLS, est paru au mois de septembre 2019 aux éditions du Cerf.
Le travail de traduction du Missel de 1970
Les cinquante ans de Missale romanum
Après les deux dossiers précédents de notre revue portant sur la réception du Missel romain issu de Vatican II dans diverses cultures1, avec les adaptations nécessaires pour favoriser l’inculturation de l’Évangile, il nous est apparu comme une évidence qu’il fallait marquer le cinquantième anniversaire de la Constitution apostolique Missale romanum par laquelle le pape Paul VI promulgua (le 3 avril 1969) le Missel romain restauré du IIe concile œcuménique du Vatican. D’abord parce que ce Missel constitue la marque essentielle et la pierre d’angle de la réforme liturgique instaurée par le Concile. Mais aussi, et surtout, pour honorer et rendre justice à l’immense travail qui a été accompli, non seulement pour l’élaboration de l’editio typica, mais également dans le processus de traduction en langue vernaculaire.
Ce travail considérable de traduction, donc d’adaptation, cherchant toutefois à valoriser l’unité substantielle du rite romain demandé par Sacrosanctum concilium 38, a été mené en français par de grands serviteurs de l’Église (évêques, prêtres, religieux, laïcs), par des théologiens, des liturgistes, des latinistes et des poètes, qui se sont appuyés sur des expérimentations, des analyses et des études approfondies. Il va de soi que l’on trouverait des processus semblables dans les autres aires linguistiques. Mais nous pouvons témoigner, en particulier après la lecture de l’article de Patrick Prétot dans cette livraison, combien ce travail fut intense dans le domaine francophone. Certes, certains points ont été plus ou moins bien reçus ou demandent à être améliorés – et nous attendons avec une certaine impatience la prochaine et troisième édition du missel en français. Mais on reste impressionné par l’ampleur, le sérieux et la dimension ecclésiale (synodale, pourrait-on dire) du travail accompli pour le Missel de 1970 dont le prochain sera largement l’héritier.
Le travail effectué est d’autant plus remarquable que le passage d’une langue avec la culture qu’elle véhicule, à une autre langue est un processus délicat et complexe. Les différentes instructions romaines successives pour tenter de réguler le processus de traduction en sont la preuve, y compris parfois dans leur contradiction. Et il a fallu le motu proprio du pape François Magnum principium de 2017 – dernier document magistériel sur le sujet – pour redéfinir précisément la responsabilité des Conférences des évêques.
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1. « Réception et adaptations. La liturgie de Vatican II dans la diversité des peuples », LMD 295/1, 2019, et « Inculturation. La liturgie de Vatican II dans le monde contemporain », LMD 296/2, 2019.
Sommaire et résumé des articles
La traduction des préfaces du Missel romain en français (1964-1971)
Hélène Bricout
Les traductions en langue vernaculaire de toutes les prières du Missel romain en langue française ont fait l’objet d’un travail intense, mené avec prudence et compétence, de manière ecclésiale grâce aux consultations et expérimentations avant décisions collégiales. Cet article le montre bien pour la traduction en français des préfaces à partir d’une étude des archives de l’Église de France. En trois vagues successives de travail : 1964-65 pour les premières Préfaces ; 1968 pour les huit nouvelles préfaces publiées par les autorités romaines ; 1969-1970 pour l’ensemble des préfaces de l’editio typica latine du Missel romanum promulgué par le pape Paul VI. L’examen des documents d’archive montre l’ampleur des discussions, en particulier pour la traduction de l’incipit et de la conclusion de ces préfaces. Il souligne la qualité du discernement effectué, des arguments avancés, à la fois d’un point de vue dogmatique, ecclésiologique, liturgique, historique et littéraire, mais aussi – et peut-être même surtout – concrètement selon l’acte de célébrer la liturgie du peuple de Dieu. On mesure ainsi combien les choix effectués tiennent au génie propre de la langue parlée et à une juste appréciation de la langue latine telle qu’elle est pratiquée dans l’euchologie de l’Église, et plus particulièrement au XXe siècle.
Les principes de la traduction du Missel de 1970 : comment « Comme le prévoit » modifie les instructions précédentes et quels sont les enjeux ?
Gianfranco Venturi
La traduction du Missel romain en langue vernaculaire a été une entreprise difficile, ne serait-ce que parce que ces langues vivantes s’opposent à une langue sacrée qui par nature est figée. De plus cette opération s’est faite à un moment où s’étaient développées les études en traductologie mettant en valeur, avec ses aspects fondamentaux, ses risques et difficultés. D’autant que les Conférences épiscopales n’étaient pas vraiment en mesure d’assumer les charges que leur confiait Sacrosanctum concilium n° 36. Ainsi, un premier Motu proprio Sacram liturgiam (25 janvier 1964) indiquait une mise en œuvre très progressive du passage à la langue du pays, et les premières dispositions étaient données par l’instruction Inter œcumenici du 26 septembre 1964. Devant ces difficultés, le Consilium chargé de l’application de la Constitution sur la liturgie, organisa un congrès très suivi du 9 au 13 novembre 1965 qui devait permettre d’entreprendre le travail sur de bonnes bases. C’est sur ces bases que fut publié le 25 janvier 1969 l’instruction « Comme le prévoit » qui fixait les règles pour les Conférences épiscopales, tenant dans un subtil équilibre à la fois le respect du texte original latin et la prise en compte des destinataires dans leur langue pour favoriser la communion du peuple dans la liturgie de l’Église. Le travail réalisé a permis une certaine créativité, mais ce chemin était rempli d’obstacles et il fut davantage limité dans les décennies suivantes.
Le motu proprio Magnum principium : un rééquilibrage
Silvia Tarantelli
Les difficultés rencontrées ces dernières années entre les Conférences épiscopales et le Siège apostolique à propos de l’édition des livres liturgiques et des questions de traduction demandaient une clarification. C’est ce qu’opère le motu proprio du pape François Magnum principium du 3 septembre 2018. En effet, la Ve instruction Liturgiam authenticam du 28 mars 2001 avait défini de nouveaux principes pour la traduction des livres liturgiques en langue vernaculaire, insistant sur la nécessité de traduire avec exactitude et de manière littérale le depositum fidei, au risque d’empêcher les fidèles d’entrer dans l’intelligence du mystère par l’action célébrée. De plus, cette dernière limitait considérablement les compétences des Conférences épiscopales vis-à-vis du Siège apostolique. Le Motu proprio du pape François vient réaffirmer le principe majeur de la participation intégrale du peuple de Dieu aux actions liturgiques, y compris dans son intelligibilité, en assouplissant les règles de traduction. Pour ce faire, il modifie le canon 838 qui avait omis de reprendre la distinction très claire faite après Sacrosanctum concilium, dans la 1e instruction, préférant les termes approbatio seu confirmatio au terme de recognitio afin de souligner la force décisionnelle première des Conférences épiscopales et « favorisant ainsi dans les faits une meilleure collaboration, plus saine et plus efficace, entre la Curie romaine et les épiscopats locaux ». Ainsi, désormais, les Conférences épiscopales sont invitées à prendre en compte la dimension communicative des textes liturgiques, ce qui nécessite des traductions contextualisées, tenant compte de ceux qui en sont les sujets et de la double finalité de cette communication, à la fois « annonce du salut et expression de la prière adressée à Dieu ». N’oubliant pas que la parole se fait rituelle dans la liturgie, c’est-à-dire ouverture à l’invisible par des signes visibles, et plus encore, permet aux fidèles de faire l’expérience d’un véritable dialogue avec Dieu.
Les cinquante ans du Missel romain de Paul VI. Retour sur un moment liturgique décisif
Patrick Prétot
À l’occasion du 50e anniversaire de la publication du Missel de 1970, l’article propose un travail de mémoire en se centrant sur la relecture d’articles de revue publiés dans les années 1967-1970 alors que le Consilium préparait un nouvel Ordo Missae qui apparait comme la « pièce maîtresse » de la réforme liturgique demandée par le Concile Vatican II.
Les débats sur cette révision du Missel romain ont parfois perdu de vue ce qui motivait en profondeur les Pères conciliaires. Les fruits d’un Missel dans la vie de l’Église sont des dons de Dieu, des dons qui se manifestent dans la vie des chrétiens qui participent pleinement à la célébration. Ce don n’est pas mesuré par la qualité de la vie liturgique ; mais la qualité de l’engagement dans la vie liturgique offre à Dieu l’occasion d’actualiser le don qu’il a fait à l’humanité dans la Pâque de son Fils Jésus-Christ. C’est dans la longue durée, par un processus patient de réception spirituelle, d’imprégnation en profondeur et vécue dans la foi, que se manifeste la vérité non d’une réforme comme telle, mais d’une quête de vie intérieure, que la révision d’un livre liturgique insigne comme le Missel, a cherché à promouvoir.
Les suffrages pour les défunts : questions sur une pratique
Bénédicte-Marie de la Croix Mariolle
Alors que dans l’itinéraire des funérailles, la célébration de l’eucharistie n’est pas toujours possible ni envisageable, voire même la station à l’église n’est pas prévue, se pose à nouveaux frais la proposition de « faire célébrer » des messes pour les défunts. Cette pratique, qui a occupé une grande place dans la vie de l’Église au cours des siècles passés, est toujours d’actualité, mais la théologie qui la porte – en particulier la théologie de l’eucharistie et l’eschatologie – demande à être renouvelée à la lumière de l’Écriture et de la Tradition comme nous y invite l’enseignement du Concile. Dans cette ligne, l’article propose une réflexion en trois étapes : qu’est-ce que « prier » ? Pourquoi prier pour les défunts ? Que fait l’Église quand elle célèbre l’eucharistie pour les défunts ? De la réponse à ces questions découlent quelques suggestions pour que cette proposition soit mieux articulée à une pastorale sacramentelle telle que la promeut le Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France.
Histoire et actualité des collectes psalmiques
Jérôme Guingand
L’histoire des oraisons concluant la prière de chaque psaume, et qu’on désigne par le terme de « collectes psalmiques » est assez mouvementée. Dans cet article, l’auteur en retrace les péripéties, depuis leur vraisemblable existence dans l’Église ancienne, suivie de leur disparition quasi-totale, et leur nouvelle promotion, d’abord dans la publication du Psautier de la Bible de Jérusalem en 1961 (avant Vatican II), puis par le Consilium chargé de réaliser la réforme de la Liturgie des Heures, mais qui n’aboutit pas à une édition officielle dans les éditions typiques latines. Dans le monde francophone, c’est le Psautier œcuménique liturgique (de 1977) qui en publie de manière systématique dans un livre liturgique officiel. Ces collectes sont dues à la plume et à la volonté de Didier Rimaud, jésuite, chargé avec Joseph Gelineau et quelques autres d’éditer ce psautier liturgique. L’histoire de l’édition de la Liturgia Horarum issue de Vatican II et de ce Psautier œcuménique liturgique montre bien les difficultés rencontrées pour donner toute leur place aux collectes psalmiques. Pourtant les exemples ne manquent pas du bienfait qu’elles peuvent apporter à ceux qui osent prier les psaumes aujourd’hui, en particulier dans leur approche christologique. L’auteur termine par un souhait pour que soit facilité leur emploi et que celui-ci soit davantage institutionnalisé.
La vision pneumatologique des rituels d’ordination presbytérale de la tradition syro-antiochienne, selon les manuscrits Vat. syr. 51 et 309
Pierre Jabbour
Dans cet article, l’auteur étudie les deux manuscrits les plus anciens (XIIe et XIIIe s.) de rituel d’ordination dans la tradition syro-antiochienne, qui ont l’avantage de ne présenter aucune, ou très peu d’influences latines. Les parties communes à ces deux manuscrits (Vat. syr 51 et Vat. syr. 309) lui permettent de dégager la dimension pneumatologique propre à ces rituels, que ce soit dans l’épiclèse directe dite par l’évêque qui ordonne en imposant les mains, que ce soit dans la forme épiclétique (donc indirecte) des hymnes, de la prière de préparation de l’évêque ou dans les gestes très significatifs qu’il effectue. Par ailleurs, le manuscrit maronite témoigne d’une tradition originale de prières dites par le célébrant en imposant une main sur les espèces eucharistiques et l’autre sur l’ordinand. En analysant successivement ces prières et ces gestes, l’auteur souligne la dimension pneumatologique prépondérante de ces rituels et montre ainsi qu’ils désignent une théologie des ministères qui n’est pas marquée par la transmission d’un pouvoir sur les sacrements ou sur les fidèles, mais par ce que Dieu accomplit dans la personne des ministres par « le don de l’Esprit Saint et de la grâce ».