La Maison-Dieu n°303 : Des arts en liturgie
Le dossier de cette première livraison 2021 est consacré aux enjeux et la place des arts que sont l’architecture, la musique, la littérature et les mots de la prière dans la liturgie.
Les arts vivants comme les arts plastiques ont un rôle primordial en liturgie. Sacrosanctum concilium (SC) l’a rappelé en particulier pour la musique (ch. VI), l’architecture et les beaux-arts (ch. VII), « cherchant sans cesse leur noble ministère » (SC 122). Il est donc heureux que des artistes, non seulement s’intéressent à la liturgie, mais y investissent aussi leur art, disposant dans un espace et un temps donné, des éléments qu’ils ont inventés, développés et créés parfois avec audace. Plus encore, puisque la liturgie, « par laquelle s’exerce l’œuvre de notre rédemption » (SC 2), contribue à la continuation de la révélation en Jésus Christ mort et ressuscité (et les œuvres d’arts y contribuent au plus haut point), elle peut être considérée aussi, en elle-même, comme une véritable œuvre d’art. Œuvre, elle l’est en tant qu’action à la fois humaine et divine comme le souligne SC. Mais aussi « art » dans la mesure où, par sa ritualité, elle est une « mise en ordre » de tout un monde qui à la fois nous échappe et se révèle de manière symbolique nous entraînant dans le mystère de Dieu.
Sommaire
Un espace pour la musique
François-Xavier Ledoux
Les rapports qu’entretiennent l’espace ecclésial et la musique ont une longue histoire, parfois conflictuelle, mais aussi riche de leurs interactions pour créer un nouveau cosmos. Cette tradition d’intelligence de pratiques musicales et liturgiques adaptées aux espaces qui leur servent d’écrins et d’effets a pu être ainsi source de créativité tout au long des siècles. Aujourd’hui encore, dans l’interface qui se joue plus que jamais entre culte et culture, elle peut être un véritable lieu de ressourcement, de réflexion et de discernement pour « imaginer une église », où viendront prendre place des liturgies moins statiques et polarisées, et des projets artistiques et musicaux mieux adaptés aux lieux et aux espaces choisis. Au-delà de cette meilleure prise en compte de la spatialisation de la musique et du chant, c’est déployer ainsi toute une esthétique de la grâce qui permette à chaque musicien, chanteur, auditeur ou fidèle et à chaque assemblée d’habiter musicalement et/ou liturgiquement le lieu ecclésial où il se tient, dans la diversité et la richesse de ses espaces, avec plus de liberté, favorisant alors la rencontre des autres sur le chemin pascal ouvert à tous par le Christ.
L’expérience liturgique d’une église
Isaïa Gazzola
Dans cette étude, l’auteur montre de quelle manière advient l’expérience liturgique d’une église. Elle passe par le langage du corps, à travers la ritualité qui s’y déploie, dans le but de nous faire participer à notre propre sanctification. L’église est ce lieu qui non seulement accueille le rite mais le constitue dans sa réalité concrète. Elle lui permet d’être le lieu essentiel où peut surgir l’expérience liturgique par laquelle vient la foi. Cette expérience se déploie dans les trois composantes indissociables que sont l’action, la raison et l’émotion. Elle passe par nos corps physiques et joue avec le corps communautaire auquel nous appartenons. En elle, la parole de Dieu prend corps. Dans les rites, il y a plusieurs langages qui relèvent de nos cinq sens et par lesquels l’expérience de foi prend corps pour se déployer dans nos vies, comme le révèle le rituel de l’initiation chrétienne des adultes. À l’instar de nos églises, les rites constituent des seuils qui invitent à entrer tout en restant en réserve, à « être avec » le Christ tout en invitant à poursuivre le chemin. Ils gardent le secret, non par peur de la révélation, mais par pudeur pour garder la tension entre le visible et l’invisible qui est au cœur du mystère. Ils font place au silence qui constitue l’écrin de la Parole et lui permet de résonner au plus profond de l’être.
Des corps vivants en liturgie
Gilles Drouin
Dans cet article reprenant une conférence donnée lors de l’Université d’été « Imagine une église », organisée en juillet 2019 à Vézelay, l’auteur s’attache à repérer comment la liturgie se déploie corporellement dans son espace. Il analyse, pour cela, la Vigile pascale et la manière avec laquelle elle opère sur le corps des catéchumènes qui se sont préparés, pour en faire des corps chrétiens intégrés dans le corps du Christ. Les catéchumènes y sont plongés dans l’eau du baptême, marqués avec l’huile sainte et nourris à la table du Seigneur, après avoir parcouru, avec toute l’assemblée, la longue liturgie de la Parole qui, non seulement leur a rappelé les mirabilia Dei, mais a institué le site liturgique qui les transforme. Il tire de cette analyse trois conséquences majeures pour nos églises : celles-ci doivent permettre de se mouvoir car, la Vigile pascale est une célébration dans laquelle les corps doivent bouger ; elles sont faites pour des corps écoutant, à l’écoute de Dieu dans sa Parole et dans ses actes, au sein d’une assemblée ; elles manifestent que l’eucharistie constitue le terme de l’initiation chrétienne et renvoie à l’horizon eschatologique de notre foi, ce qui souligne le rôle central de l’autel et la nécessité d’habiter nos églises comme corps rassemblé auprès de lui.
L’artiste dans l’économie trinitaire. La Lettre aux artistes de Jean-Paul II (4 avril 1999)
Denis Hétier
Jean-Paul II a écrit sa Lettre aux artistes (Pâques 1999) pour favoriser un dialogue fécond et profond entre l’Église et les artistes. Non seulement sa visée est clairement pastorale mais elle déploie une véritable théologie fondamentale de l’art, dans une réflexion structurée de manière trinitaire. Il situe l’art et les artistes dans l’économie du Verbe incarnée. Toute forme authentique d’art est « une voie d’accès à la réalité la plus profonde de l’homme et du monde » (n. 6). En ce sens, l’artiste tend à s’approcher de l’Évangile et trouve en lui une source et un accomplissement. Dans sa longue méditation, Jean-Paul II établit aussi une relation étroite entre l’artiste, dans sa vocation singulière, et le Dieu Créateur qui lui transmet « avec une complaisance affectueuse, une étincelle de sa sagesse » (n. 6), donnant à l’artiste une capacité contemplative perçue « comme écho du mystère de la création » (n° 1). Ainsi, toute création artistique est ramenée à l’œuvre de Dieu lui-même, au-delà de la conscience explicite de l’artiste. Enfin, il souligne la reliance fondamentale de l’artiste à l’Esprit Saint, au sein même de son acte de création artistique et de son inspiration. L’Esprit créateur, souffle divin, inspire et illumine l’artiste éveillant en lui des énergies nouvelles.
« Et la poésie dans tout ça ? »
Jean-Pierre Lemaire
Si la poésie parle avec les mots du langage commun, elle parle de manière unique. « Elle ne crée pas les êtres, mais elle leur invente un nom pour répondre à la surprise de leur présence. » Évitant les clichés, comme les discours énonçant quelques vérités, la poésie prend des détours pour nommer une chose ou un sentiment. Le poète est sensible à la nouveauté du monde et s’en émerveille. Elle offre l’asile d’une reconnaissance symbolique aux êtres rencontrés, leur accordant un droit à l’existence dans notre regard. « Le poème met aux prises un réel imprévu et un désir obscur révélé au contact de la chose ou de la personne rencontrée. » Et il arrive que la surprise poétique débouche sur le mystère, devant lequel le poète se tient à distance dans une attitude respectueuse comme il l’est face à tout être, animal, végétal ou minéral ; mystère qu’il ose nommer. C’est dans cette tension entre réserve et nomination que réside l’aventure paradoxale propre à la poésie.
Les psaumes : matrice de l’art littéraire de Didier Rimaud
Jérôme Guingand
Le Père Didier Rimaud, sj, auteur bien connu de nombreuses hymnes liturgiques a été aussi l’un des traducteurs du Psautier liturgique œcuménique et auteur des collectes psalmiques (cf. LMD 297, 2019, p. 135-160). Dans cet article, l’auteur analyse avec précision comment les Psaumes furent, pour D. Rimaud, la source d’inspiration et la matrice même de son art littéraire, tant pour ses collectes qui prolongent et interprètent chrétiennement les psaumes, que pour ses hymnes et cantiques. Son écriture reprend non seulement quelques thèmes, comme l’attention aux plus pauvres, mais aussi le vocabulaire, le rythme, les structures grammaticales et les procédés poétiques (cris et questions, parallélismes et antithèses, …) développés dans les psaumes hébreux. Elle offre ainsi aux priants d’aujourd’hui, les mots pour approcher le mystère de Dieu, dans une poésie capable de faire corps avec leurs aspirations spirituelles. Cet enracinement dans la poésie hébraïque n’est pas seulement conjoncturelle, mais structurelle dans le sens où les psaumes constituent véritablement, pour Rimaud et quelques-uns de ses compagnons, la voie d’accès primordiale à la prière liturgique de l’Église et à son chant.
L’Église et la liturgie dans le monde contemporain
Slawomir Jeziorski
La question de la forme idéale de la célébration liturgique est souvent posée dans les discussions pastorales. Cependant, les réponses résultant de ces discussions ne sont pas toujours issues de réflexions ayant examiné à la fois le contexte culturel et la dimension théologique de la liturgie. Cet article tente de rechercher des réponses possibles à la question de savoir quelle forme de liturgie l’Église devrait célébrer dans le monde contemporain, une forme qui tiendrait compte de notre culture actuelle et de ses mentalités sans omettre les éléments cruciaux du mystère célébré. Les arguments développés par l’auteur de cet article témoignent de la réalité de la société polonaise et même au-delà. Ils désignent des caractéristiques de l’époque actuelle et leur influence sur la pensée ecclésiale. Ce n’est qu’à partir de ce paysage que se dégagent les facteurs qui semblent nécessaires pour les célébrations liturgiques d’aujourd’hui et les caractéristiques inhérentes à leur contenu théologique : altruisme, liberté, beauté et vitalité.