La Maison-Dieu n°314 : Synodalité de la liturgie et liturgie des synodes
Le dernier dossier de La Maison-Dieu 313 sur les ministères dans l’assemblée liturgique nous introduisait déjà à la question de la synodalité de la liturgie. C’est bien sûr le « synode sur la synodalité dans l’Église : communion, participation et mission » convoqué par le pape François qui nous incite à poursuivre ce dossier majeur
Ce numéro en approfondit l’étude sous deux angles à la fois complémentaires et indissociables. D’une part, la liturgie a une dimension synodale majeure, au point qu’on peut même la considérer comme une forme paradigmatique de la synodalité à l’œuvre dans l’Église. Sa structure pluriministérielle participe particulièrement à cette synodalité, « chacun faisant seulement mais intégralement ce qui lui revient » (Sacrosanctum concilium 28). Encore faut‑il en préciser les contours et aussi les limites, qui tiennent surtout à nos lourdeurs institutionnelles et à la marque indélébile que ces dernières ont laissée dans l’esprit de certains, ministres ordonnés ou fidèles. Et, d’autre part, tout synode ou concile a une dimension liturgique, non seulement parce qu’il est ouvert, conclu et rythmé par des offices liturgiques, mais aussi parce que ceux-ci marquent l’ensemble de la démarche au point de pouvoir la considérer comme une grande liturgie déployée.
Ce numéro 314 propose également, en varia, un article d’un théologien indien, Rojan Sebastian, étudiant la liturgie célébrée avec la communauté, à Taizé. Après l’article de Julien Sauvé (LMD 311) sur les lieux liturgiques de la colline de Taizé, voici donc une analyse d’une de leur liturgie – celle du vendredi soir – qui permet de comprendre la capacité hospitalière des liturgies qui y sont célébrées. Plusieurs chroniques permettent, par ailleurs, de prendre la mesure du travail œcuménique, en liturgie, effectué en 2023 au sein de la Societas liturgica (G. Drouin), et de la Semaine de Saint-Serge (A. Haquin), ainsi que de la nécessaire collaboration entre la liturgie et la catéchèse, lors du rassemblement Kerygma (Ph. Barras). Enfin quelques recensions terminent cette livraison.
article "La liturgie, pédagogie de la synodalité"
Sommaire
La liturgie à l’épreuve des collectes du synode sur la synodalité, Patrick Prétot
À la lumière du processus synodal en cours, l’article se met à l’écoute de sa démarche pour en percevoir les enjeux, non seulement en matière de formation, mais aussi quant à la méthode synodale elle-même comme cadre d’une réflexion sur les processus ecclésiaux. Par ailleurs, à titre d’exemples, il aborde trois sujets actuels que la démarche synodale met en lumière : la place des femmes dans la liturgie et donc la conception de l’assemblée chrétienne que la question signifie ; la place et le rôle de la fonction théologique en ce domaine particulier ; et enfin l’élaboration et la réception des livres liturgiques et de leurs traductions
La liturgie, pédagogie de la synodalité, Jean-Louis Souletie
La synodalité, comme la liturgie, sont toutes deux de nature pneumatologique : elles sont animées par l’Esprit Saint et manifestent la nature et la mission de l’Église. L’auteur souligne combien la diversité et la complémentarité des dons de l’Esprit dans la vie de l’Église sont essentielles pour la vie liturgique, comme pour la synodalité, permettant à tous les membres de constituer le corps du Christ, chacun à sa juste place. « Membres les uns des autres, selon la métaphore paulinienne, les baptisés sont des dons organiquement liés entre eux pour la mission de tout le corps. » La spécificité de la liturgie, qui exprime la totalité du mystère chrétien, consiste en « une sorte de bain ecclésial dans lequel se renouvelle en permanence, l’incorporation des fidèles dans la vie de l’Église », contribuant et favorisant ainsi la synodalité en son sein. Avec la liturgie, les fidèles apprennent à faire corps avec d’autres, comme dans la synodalité qui leur apprend à discerner ensemble l’appel de Dieu. Par leur caractère pneumatologique, liturgie et synodalité constituent une forme de vie ecclésiale dans la communion et la participation, ordonnée à la mission.
Eucharistie et synodalité. Une piste à partir de Sacrosanctum concilium, Pasquale Bua
Selon l’auteur, on ne peut appréhender la synodalité seulement à partir de la constitution sur l’Église de Vatican II, Lumen gentium. Tout comme cette dernière ne suffit pas à aborder pleinement l’ecclésiologie conciliaire : il est nécessaire de prendre en compte également les autres textes de Vatican II, en particulier Sacrosanctum concilium qui constitue le premier texte ecclésiologique fondamental établi à partir du baptême et surtout de l’eucharistie. Par l’étude de ces constitutions conciliaires, l’auteur montre combien la primauté de l’eucharistie donne forme à la vie de l’Église et constitue la matrice du principe de synodalité. Au point que le synode peut être considéré comme une expansion de l’eucharistie (et non pas – comme certains le rêveraient – comme une organisation plus démocratique). Il en relève trois caractéristiques communes : le synode comme l’eucharistie est d’abord un rassemblement, convoqué par le Seigneur ; une fraternité (et sororité) dans laquelle tous participent au nom de leur baptême ; et une fraternité structurée dans laquelle tous ne participent pas de la même manière (cf. le ministère de présidence et tous les autres ministères dans leur diversité).
La dimension liturgique des conciles et synodes. L’apport de l’histoire à une question actuelle, Martin Klöckener
Explorant et analysant les documents les plus anciens qui attestent de la pratique synodale dans l’Église, l’auteur montre combien la dimension liturgique est constitutive des conciles et des synodes. S’appuyant en particulier sur les racines wisigothiques, puis sur ses développements romano-francs jusqu’à nos jours, il relève non seulement la place majeure des liturgies eucharistiques, mais aussi des proclamations solennelles de l’Évangile introduites au cœur de l’assemblée, ainsi que les nombreuses prières (dont l’Adsumus), les gestes pénitentiels et de communion, etc. qui jalonnent les assemblées réunies. Il en conclut que conciles et synodes sont bien des assemblées réunies au nom de Jésus Christ, présent au milieu d’eux, dans lesquelles agit l’Esprit Saint pour que chacun et tous se convertissent à Dieu pour davantage de justice et de vérité, et fassent ainsi l’expérience de la communion ecclésiale : caractéristiques majeures de toute liturgie.
Les voies nouvelles de la pluriministérialité en liturgie. La liturgie, épiphanie de l’Église : actualité et fécondité d’un adage, Dominique Waymel
Partant du constat que la liturgie donnerait plutôt à voir aujourd’hui une Église fractionnée (cf. les différences de style et de pratique, les questions débattues, etc.), l’auteure formule l’hypothèse qu’une prise au sérieux de la pluriministérialité permettrait d’« épiphaniser » l’Église de Dieu dans sa vocation missionnaire. Il est décisif de valoriser la diversité et la complémentarité des ministères confiés au titre du baptême, tels que les définit la Présentation générale du Missel romain, non pas compris à partir du ministère ordonné, mais selon le concile Vatican II comme service de la communauté et de sa mission. Les récents motu proprio du pape François, facilitant l’accès des femmes au lectorat et à l’acolytat ou créant le ministère de catéchiste, nous permettent de mieux mesurer le déplacement ecclésiologique opéré à partir de Vatican II, et que la liturgie manifeste au plus haut point.
Les célébrations liturgiques du Chemin synodal Allemand, Siegfried Kleymann
Le Chemin synodal de l’Église d’Allemagne, qui s’est déroulé de 2020 à 2023, a été un expérience spirituelle majeure pour les participants. L’auteur, qui fut accompagnateur spirituel durant les deux dernières années, en retrace les contours, soulignant combien les célébrations liturgiques ont été décisives à la fois pour déterminer le style des assemblées synodales et leur conférer une tonalité liturgique, mais surtout pour se remettre sans cesse en présence du Dieu vivant, par sa Parole, sous la conduite de l’Esprit. Il note l’importance des temps de pause, de « suspension », de la musique et du silence, ainsi que « des propositions de partage d’Évangile pour favoriser des attitudes synodales ». Ces éléments ont permis de favoriser l’écoute de l’autre et la communion, laquelle pouvait culminer dans la célébration de l’eucharistie.
La « Pâque hebdomadaire » de Taizé : lieu d’hospitalité liturgique, Rojan Sebastian
La liturgie a une place toute particulière dans la vie et la mission de la communauté de Taizé. L’auteur nous en partage son analyse (thèse de doctorat à l’Institut catholique de Paris), étudiant en particulier la liturgie d’ouverture de la « Pâque hebdomadaire », laquelle se déploie depuis la prière du vendredi soir jusqu’à l’eucharistie du dimanche, en passant par la veillée de la Résurrection le samedi soir. Il en analyse à la fois la disposition spatiale, mais aussi la structure rituelle, cherchant à interpréter la portée de sens de ses éléments pour les jeunes qui y participent. Il en conclut que cette liturgie du vendredi soir qui est pleinement centrée sur le Christ en son mystère pascal, présente un caractère hospitalier particulièrement marqué, capable d’accueillir et d’intégrer des jeunes de différentes sensibilités et confessions.