La Maison-Dieu n° 320 : Bénir après Fiducia Supplicans
Les bénédictions sont des actes d’Église dont la popularité ne se dément pas. Certes, les pratiques ont varié et varient selon les temps et des lieux et elles présentent parfois certaines ambiguïtés. Le dossier de ce numéro 320 de la revue La Maison-Dieu fait le point. Les réactions suscitées par la publication de la déclaration Fiducia supplicans sur la signification pastorale des bénédictions (18 décembre 2023) ont en effet mis en évidence des représentations encore variables, voire imprécises, des bénédictions, de leurs significations, de leur ritualité et de leurs objectifs.
Liminaire : Bénir après Fiducia Supplicans
Les bénédictions sont des actes d’Église dont la popularité ne se dément guère au cours des âges, ainsi qu’en témoignent les sources, en particulier liturgiques. Certes, il existe des variations en fonction des temps et des lieux ; en outre, certains témoins actuels et plus anciens en présentent ou sous-entendent des significations pour le moins ambiguës.
Le n. 302 de la revue, en 2020, portait déjà sur ce thème. Issu de journées doctorales en partenariat avec l’université de Fribourg, il s’était surtout intéressé au Livre des bénédictions en rappelant l’histoire, les évolutions et la théologie de ce livre encore trop méconnu ; il en montrait également les ressources pour répondre à certains défis pastoraux actuels.
Les remous autour de la publication de Fiducia supplicans à la fin de l’année 2023 et au début de 2024, ont parfois pris des allures de croisade, et ont mis en évidence des représentations encore variables, voire imprécises, des bénédictions, de leurs significations, de leur ritualité et de leurs objectifs. C’est pourquoi il a semblé opportun de reprendre la réflexion sur les bénédictions dans ce nouveau contexte, qui prend des lors une tout autre direction que la livraison précédente.
Il nous faut d’abord comprendre le texte de la Déclaration. Son auteur, le Cardinal Victor Manuel Fernandez, ainsi que le pape Francois, interlocuteur dans la rédaction de ce texte, s’appuient sur une pratique qui leur est familière, très répandue en Amérique latine, mais peu connue en-dehors – du moins sous cette forme qu’il importe de connaître. C’est le premier article, écrit par Creomenes Tenorio Maciel, qui livre les clés de compréhension de cet arrière-fond. D’autres régions, en Afrique par exemple, comme le montre Morel Hounkpevi, pratiquent aussi largement les bénédictions populaires, quoique dans un contexte diffèrent, important. Mais, ajoute l’auteur, la Déclaration bien comprise constitue une opportunité pour encourager la pratique africaine à se renouveler à la lumière du Livre des bénédictions, et invite à élaborer un recueil de bénédictions, de prières de protection, de délivrance et de guérison adapté aux besoins locaux.
Ces préliminaires nécessaires étant posés, il convient de revenir aux intentions qui ont présidé à la publication de Fiducia supplicans. C’est ce que tente de faire Hélene Bricout, avant d’identifier les difficultés du texte du point de vue de la théologie de la liturgie, ainsi que les questions actuelles insuffisamment clarifiées qui expliquent en partie la réception problématique de la Déclaration. Gilles Drouin en analyse plus précisément les appuis théologiques dont la facture scolastique apparaît assez évidente – tout comme la note Gestis verbisque, du même Dicastère, parue moins de deux mois après Fiducia supplicans (3 février 2024). De tels présupposés apparaissent de manière encore plus évidente lorsqu’on met ces textes en regard avec la perspective inséparablement sacramentaire et liturgique devenue familière depuis le concile, magnifiquement réaffirmée récemment par la Lettre apostolique Desiderio desideravi (29 juin 2022).
De ces présupposés scolastiques, Pasquale Bua montre les limites et les possibilités de dépassement dans la théologie contemporaine, en analysant la distinction entre sacrements et sacramentaux, et entre deux expressions qui ont servi à cette distinction, ex opere operato et ex opere operantis Ecclesiae. Gianluca Gerbino offre alors une perspective plus pastorale qui honore les requêtes fondamentales de l’attachement des fidèles aux bénédictions, tout en relevant certains risques envers lesquels il propose des remèdes.
Enfin, Mgr Job Getcha nous ouvre aux sources liturgiques et aux formes de la bénédiction dans la liturgie byzantine, et nous éclaire sur leur sens dans la vie de foi des fidèles orthodoxes. Cet élargissement de la perspective à la tradition orthodoxe, qui vient compléter celle déjà apportée par Serge Sollogoub dans le n. 302, présente l’intérêt de montrer comment la tradition byzantine a intégré très tôt dans ses livres liturgiques, quantité de bénédictions de forme et de nature différente intégrées dans l’ensemble des signes ecclésiaux, qui attestent la présence bienveillante de Dieu dans la vie des fidèles.
Ce dossier fait apparaitre les bénédictions comme des actes transversaux dans l’activité ecclésiale : de l’intégration au cœur d’un sacrement (comme la bénédiction des alliances de nouveaux mariés) à des pratiques demandées et/ou proposées en « périphérie » de la vie de l’Église, elles couvrent un large champ de circonstances et de situations qui ne permettent guère de tracer des frontières étanches de l’une à l’autre. Rassemblées dans le Livre des bénédictions, jusqu’à la proposition de « bénédiction pour diverses circonstances » non prévues, elles sont à nouveau disjointes dans Fiducia supplicans, qui essaie ainsi de concilier les demandes nouvelles (par exemple, pour des personnes en « situation irrégulière »), la tradition longue des bénédictions dans l’Église et une pastorale inclusive dont personne ne devrait être exclu. Le dossier, comme les réactions diverses qui ont accueilli la Déclaration, montrent clairement que des approfondissements sont nécessaires, et s’offrent comme des chantiers encore à travailler.
Les deux varia honorent l’initiation chrétienne, mais sous deux aspects bien différents. Dans le premier, David Ribiollet, analysant les praenotanda des Rituels de l’initiation, fait apparaitre l’unité entre les trois sacrements, et par la même occasion, en souligne l’ordre de réception qui répond a une logique initiatrice. Les orientations pastorales actuelles ne sont pas toujours en phase avec cette logique, au risque d’obscurcir le sens de l’itinéraire sacramentel. Quant à Philippe Bordeyne, il profite du Jubilé pour interroger la manière d’annoncer l’espérance à des couples et des familles en constante évolution, en s’appuyant sur l’expérience du catéchuménat pour favoriser un cheminement dans la durée ; mais cela nécessite, de la part de l’Église, un travail aujourd’hui encore trop timide avec d’autres disciplines, voire des conversions pastorales.
La rubrique « Expression » poursuit son exploration des expressions théologiques reçues en matière de liturgie, dont une relecture s’avère aujourd’hui utile. Cette fois-ci, c’est le tour de la « participation active », expression centrale de la Constitution conciliaire sur la liturgie. Une nouvelle rubrique, qui sera dorénavant régulière dans la revue, porte sur des « Questions pratiques » souvent posées dans l’exercice concret des célébrations liturgiques et de leur préparation. Pour commencer, une question très fréquente posée par la pastorale du mariage : lorsque la célébration du mariage a lieu au cours d’une messe, peut-on ajouter une préparation pénitentielleque le Rituel ne prévoit pas ? Une chronique et deux recensions terminent ce numéro. |
Sommaire du N°320 de LMD
In memoriam Paul De Clerck par Hélène BRICOUT
Dossier
Les bénédictions pastorales en Amérique latine à l’épreuve du paradigme établi, Creômenes Tenorio Maciel
Comprendre la proposition de Fiducia supplicans requiert de comprendre d’où elle vient. En l’occurrence, elle vient d’Amérique, dont sont originaires les instigateurs de la Déclaration. Creômenes Tenorio Maciel plonge le lecteur dans la pratique pluri-quotidienne et véritablement structurante des bénédictions, pour la vie sociale aussi bien que spirituelle, commune au christianisme et à d’autres religions. Par son caractère spontané issu de la piété populaire, elle se démarque de la pratique régulée du Livre des bénédictions qui reste peu connu et peu utilisé. La Déclaration n’a guère suscité l’intérêt, car elle n’apportait rien à ce qui se pratiquait déjà, et peut-être aussi parce qu’elle manque d’un approfondissement théologique et liturgique encore souhaitable.
FEUILLETER L’ARTICLE « LES BÉNÉDICTIONS PASTORALES EN AMÉRIQUE LATINE »
La pratique des bénédictions pastorales en Afrique, Morel HOUNKPEVI
L’article part d’un constat : l’étendue du besoin d’être béni. L’Amérique latine n’est pas le seul continent où les bénédictions se pratiquent couramment. Un liturgiste béninois présente ainsi l’usage répandu en Afrique, plongeant ses racines dans la culture ancestrale, demandé et reçu parfois même par des non-chrétiens ; il en expose les motivations, les formes variables, les circonstances, qui en font une véritable pastorale ordinaire de proximité. Son importance comme ses limites militent en faveur d’une réception plus solide des ressources du Livre des bénédictions, qu’il faudrait adapter aux besoins locaux, et la mise au point d’un complément qui serait équivalent au livre Protection, Delivrance, Guerison de la Conférence des évêques de France, en veillant à la justesse rituelle des actes à poser. Finalement, la Déclaration Fiducia supplicans vient encourager l’attitude pastorale d’accueil bienveillant que constituent les bénédictions, même si la distinction entre bénédiction « liturgique » et bénédiction « pastorale » semble peu opérante dans le contexte africain.
Les bénédictions après Fiducia supplicans, Hélène BRICOUT
La nouveauté présentée par la Déclaration Fiducia supplicans porte sur l’extension de la pratique des bénédictions à des conditions et des situations différentes de celles qui sont déjà prévues par le Livre des bénédictions. La première partie de l’article présente l’analyse du texte et de ses intentions, d’une part, et de la matrice liturgique des bénédictions, d’autre part, ce qui conduit à interroger la qualification de « nouveauté » des bénédictions « pastorales ». Si l’on comprend bien les raisons d’être de la proposition de la Déclaration, en revanche l’articulation avec les bénédictions liturgiques s’avère plus difficile. La seconde partie repère un certain nombre de questions posées à la mise en œuvre du texte ; elles appellent à un réel travail pour clarifier les présupposés et les évolutions souhaitables de leurs pratiques.
De Desiderio desideravi à Fiducia supplicans et Gestis verbisque, un paradigme sacramentaire hésitant, Gilles DROUIN
La lecture de trois documents magistériels récents (Desiderio desideravi, Fiducia supplicans et Gestis verbisque) fait apparaître des présupposes théologiques bien différents. Tandis que le premier, signé par le pape Francois, exprime une continuité manifeste avec la vision développée par le Mouvement liturgique et accueillie par la Constitution conciliaire sur la liturgie, les deux autres, issus du Dicastère pour la doctrine de la foi, témoignent de la prégnance des catégories sacramentaires scolastiques dont les caractères principaux sont exposés : la nature du rapport entre l’Écriture et la liturgie, la séparation entre définition conceptuelle des sacrements (De sacramentis in genere) et traités des sacrements en particulier (in specie), la séparation entre théologie des sacrements et liturgie. Fiducia supplicans réintroduit la séparation des pratiques que la théologie contemporaine a voulu réarticuler sous l’égide de la liturgie.
Des sacrements et des sacramentaux. Pour repenser le rapport entre ex opere operato et ex opere operantis Ecclesiae, Pasquale BUA
La stricte distinction, issue de la théologie scolastique, entre sacrements et sacramentaux, comme entre les formules ex opere operato et ex opere operantis Ecclesiae, est aujourd’hui insuffisante pour rendre compte de l’efficacité des rites par lesquels l’Église témoigne et transmet le salut qu’elle tient du mystère du Christ. La sacramentaire actuelle, en relisant l’histoire de la théologie des sacrements et des sacramentaux, en prenant au sérieux leur processus sacramentel et en tenant compte de l’évolution récente de l’ecclésiologie, tend à disposer ces actions selon une vision en cercles concentriques autour du noyau pascal, au service du bien spirituel de tous.
Exposés à la chair et à l’esprit, Gianluca GERBINO
Cet article à caractère pastoral s’intéresse a la bénédiction en tant qu’action englobant toute la personne, ouvrant au sens spirituel de l’ensemble de la vie quotidienne. Il en présente les effets pour la vitalité de la foi des chrétiens et leur conscience de la proximité de Dieu. Les chances que représentent les bénédictions pour la pastorale ecclésiale d’aujourd’hui requièrent cependant des conditions de préparation et de célébration, auxquels l’auteur souhaite rendre attentif, afin d’éviter les risques de dévoiement de la bénédiction. L’accompagnement pastoral des bénédictions est donc une nécessité pour former les fidèles à une expérience intime et communautaire de la présence de Dieu.
Comment l’Orient chrétien articule liturgie et piété populaire, Job GETCHA
La tradition byzantine est riche de bénédictions variées, dont témoignent abondamment les sources liturgiques de toutes époques. Ce voyage au gré des livres liturgiques montre la diversité des bénédictions, des motifs et de leur mise en œuvre concrète, qui couvrent toutes les circonstances de la vie humaine, affirmant rituellement qu’aucune situation humaine n’échappe à la bienveillance divine.
Varia
L’unité de l’Initiation chrétienne dans ses Rituels, David RIBIOLLET
La question pastorale de l’ordre de réception des sacrements de l’initiation chrétienne engage la théologie des sacrements. Il convient dès lors d’interroger les Praenotanda des différents livres liturgiques : ils montrent de manière évidente que les trois sacrements sont pensés et prévus comme relevant d’une même dynamique initiatrice, dont l’horizon est eucharistique. Cette clarification invite sérieusement, comme le fait Benoit XVI, à vérifier la proposition des parcours pastoraux d’initiation chrétienne.
Catéchuménat, mariage et familles : une relation à inscrire dans l’espérance du Jubilé, Philippe BORDEYNE
Le Jubilé, parce qu’il annonce l’espérance à toute situation humaine, s’adresse aussi aux couples et aux familles, surtout dans le contexte actuel d’incertitude et de fortes évolutions. L’Église n’est pas dépourvue, en raison de sa longue pratique, mais elle doit intensifier la conversion de ses représentations parfois idéologiques. La proposition de l’article consiste à considérer le cheminement catéchuménal comme une source d’inspiration pour la préparation et l’accompagnement du mariage et de la vie familiale, en favorisant la mémoire de l’histoire vécue, les ressources de la Bible, le lien à l’Église paroissiale et diocésaine, et l’itinéraire personnalisé.
Expression
La participation active : un concept à revisiter ?, Michel STEINMETZ
Question pratique
« Pourrait-on ajouter l’acte pénitentiel dans la célébration d’une messe de mariage ? », Hélène BRICOUT
Chronique
Le Cinquantenaire de la revue « Liturgie » (1972‑2022), André HAQUIN