La Maison-Dieu n°301 : Chemins de réconciliation et de guérison

La Maison-Dieu n°301, éd. Cerf.

La Maison-Dieu n°301, éd. Cerf.

Fidèle à sa tradition, La Maison-Dieu propose dans ce dossier, d’aborder cette grande question de la réconciliation et de la guérison intérieure sous plusieurs angles, associant expériences pastorales et réflexions théologiques fondamentales, constats et analyses.

Quelles sont les situations envisagées où s’expriment ce besoin de réconciliation et de guérison ? Ce sont ici celles des personnes divorcées remariées, celles des religieux subissant une emprise morale au sein de leur communauté, celles des populations d’Amérique marquées à jamais par l’esclavage dont elles ont été victimes, celles aussi des catéchumènes qui s’avancent dans le chemin de salut offert par le Christ, celles de personnes, enfin, qui se disent possédées par le Démon. Et il en manque beaucoup d’autres qui pourront être abordées ultérieurement, en particulier la situation des personnes qui souffrent dans leur corps et à qui l’Église propose « les sacrements pour les malades. Dans toutes ces situations, l’Église qui témoigne de la miséricorde et de la justice de Dieu peut s’appuyer sur ses ressources pour ouvrir un chemin de réconciliation et de guérison possible. Des diocèses ont pris des initiatives dans ce sens : propositions de prière liturgique, de célébration d’office (liturgie des Heures), de neuvaines, de pèlerinages, etc. Il est impossible de faire le tour d’un dossier aussi vaste, mais ce numéro de La Maison-Dieu se propose de l’appréhender à partir de quelques réalités, avec tact et audace.

Sommaire

La réconciliation pour les baptisés divorcés remariés, un chemin de guérison

Hélène Bricout

En s’appuyant sur l’image traditionnelle de la réconciliation comme sacrement de guérison, l’article veut montrer que cette image éclaire l’itinéraire de guérison auquel sont invitées les personnes qui traversent ou ont traversé la douloureuse épreuve de l’échec conjugal. Le Rituel Célébrer la pénitence et la réconciliation y participe par sa visée thérapeutique qui conduit à identifier et à contester les présupposés – surtout liés à une vision juridique des sacrements – du refus des sacrements pour les baptisés divorcés remariés. Une approche renouvelée de la réflexion théologique et de la pastorale des situations matrimoniales complexes ou fragiles, encouragée par Amoris laetitia, est possible sur la base d’une théologie sacramentaire ancrée dans le mystère pascal et une vision dynamique de la vie et de la vocation chrétiennes.

Face aux abus d’autorité dans la vie religieuse, quels chemins de réconciliation ?

Dom Jean-Charles Nault

Le drame des abus d’autorité dans la vie religieuse, fortement médiatisé aujourd’hui, trouve sa racine dans une conception déviante de la liberté, comprise seulement dans son rapport à la loi, et de l’obéissance envers l’autorité supérieure considérée comme infaillible. La symbolique familiale déployée dans les communautés religieuses (figures du père ou de la mère, des frères ou des sœurs) pouvant conduire à renforcer certains excès. Devant cette réalité, des chemins de réconciliation et de guérison sont cependant possibles, en particulier si l’on considère la figure du père dans une paternité filiale, attachée à la figure du Christ, le Fils du Père, de qui le père ou la mère en religion reçoit toute autorité, ce qui conduit le supérieur à pratiquer authentiquement une autorité diaconale, à la manière même de Jésus dans l’Évangile. La Règle de saint Benoît insiste énormément sur cet aspect et permet aux communautés de trouver l’humilité suffisante pour vivre la communion au sein d’une Église plus large. Paternité filiale, autorité diaconale et humble insertion ecclésiale, constituent trois chemins à la suite du Christ, parmi d’autres, pour permettre une authentique réconciliation, voire une guérison.

L’expérience martiniquaise de réconciliation après le temps de l’esclavage

Mgr David Macaire

La blessure de la traite des nègres et de l’esclavage est encore très vive en Martinique, et cela se comprend pleinement. L’Église est parfois taxée de complicité avec ces crimes mais si l’on regarde de près et si l’on situe les évènements dans leur contexte, on s’aperçoit qu’elle fut plus souvent du côté de ceux qui dénoncèrent l’esclavagisme et luttèrent contre lui. Aujourd’hui encore, l’Église de Martinique, encouragée par le pape François à la suite de tous ses prédécesseurs, s’attache à condamner toute forme d’esclavagisme et de racisme, et à déployer un chemin de guérison possible de la mémoire. Elle le fait par la prière et par des actes concrets comme ceux posés ces dernières années par les évêques successifs et des prêtres du diocèse.

Exorcisme et guérison des catéchumènes

Philippe Marxer

Les catéchumènes se voient proposer des célébrations avec prière d’exorcisme et/ou d’onction d’huile au long de leur cheminement. Ces étapes décisives rejoignent ce qu’ils vivent et ce qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes avec leurs besoins de guérison de blessures ou de pratiques anciennes, de purification, de force pour le combat spirituel. Ces étapes proposées par le rituel déterminent une progression qui conduit les catéchumènes à découvrir le visage de Dieu et à reconnaître d’abord que Dieu est celui qui passe et vient les rejoindre dans leur existence pour les accompagner et les ouvrir à la conversion. Mais cela n’est possible qu’à deux conditions : d’une part, faire droit pleinement à la ritualité des célébrations liturgiques qui ouvrent à cette dimension de reconnaissance de Dieu, en particulier par les récits évangéliques qui précèdent les rites ; d’autre part, ne pas se figer sur les rubriques rituelles pour donner toute sa chance à la progression de la personne dans une attitude pastorale d’ouverture, comme celle promue par le pape François.

Prières et sacramentaux de l’Église pour la délivrance du mal. Une lecture théologique et pastorale

Monique Brulin

Le Rituel de l’exorcisme issu de Vatican II se démarque de son prédécesseur dans la mesure où il évite (sauf cas très spécifique) la forme imprécative : il se réfère très explicitement au mystère pascal du Christ sauveur qui nous envoie son Esprit Saint, ramenant les fidèles à leur baptême et associant toute l’Église dans une prière commune enracinée dans les Écritures. Ainsi resitué, l’exorcisme (que l’on retrouve aussi dans l’itinéraire catéchuménal) apparaît comme un sacramental particulièrement efficace lorsqu’il se déploie liturgiquement. Les actes de langage et la prononciation des noms divins y trouvent le site illocutoire qui convient à leur performativité, évitant ainsi les risques de compréhension magique. Si le Rituel n’hésite pas à nommer les puissances du mal, il le fait avec mesure et sobriété, « non pour se confronter aux puissances démoniaques, mais pour reconnaître avec lucidité leur action dé-personnalisante et destructrice » en se situant « sur l’axe de la promesse où le baptême a inscrit les fidèles ». Ce faisant, le Rituel atteste l’engagement de l’Église auprès des personnes affligées par le combat pour la délivrance du mal. C’est à cette fin qu’il propose aussi toute une série de prières, reprises avec d’autres (issues du Rituel de l’initiation chrétienne des adultes et du Livre des bénédictions) dans la publication du Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle : Protection, Délivrance, Guérison. Célébrations et prières (Desclée – Mame, 2017). Le cadre liturgique donné à ces prières favorise un itinéraire de foi dans lequel les fidèles peuvent passer de la demande de protection à la bénédiction par la reconnaissance de l’œuvre continue du Père, par Jésus Christ, dans l’Esprit Saint. En accueillant les personnes souffrantes à partir de leur ressenti, la démarche conduit à restaurer leur unité intérieure et leur liberté spirituelle en raffermissant leur confiance en Dieu, selon une pédagogie d’initiation, où la place et la vie dans la communauté des chrétiens sont primordiales : « Relier pour délier ». Là encore, la ritualité joue un rôle majeur pour favoriser les déplacements et soutenir l’efficacité de la prière.

Le ministère de réconciliation de l’Église : un service envers l’humanité à travers les âges

Georg Kretschmar

Dans cet article de 1987, le professeur Kretschmar retrace l’évolution de la compréhension que l’Église a eu de son ministère de réconciliation au long de l’histoire, dans les contextes ecclésiaux et politiques différents, en Occident et en Orient. Ce parcours qui va de la théologie paulinienne à celles issues de la Réforme, en passant par les Pères de l’Église, permet de mieux comprendre , aujourd’hui, comment la prière pour le pardon et l’appel au pardon du Christ crucifié, permettent de fonder une réconciliation, même là où  la guérison semble difficile.

Pour Paul, la réconciliation est une interprétation de l’événement de la Croix qui fait de nous une nouvelle création et en même temps son ministère, et donc celui de l’Église. Dans l’Église ancienne, la réconciliation advient lorsque les hommes passent – avec le Christ ressuscité – du monde extérieur de souffrance dominé par les démons à l’intérieur du peuple de Dieu. Le pouvoir réconciliateur de la Croix est plus grand que l’obéissance des baptisés avec leurs infidélités. Ainsi, les pécheurs pouvaient être réconciliés dans une démarche à la fois intra-ecclésiale mais aussi sociale et politique vis-à-vis de la société. Le ministère de réconciliation de l’Église est donc pour elle-même mais aussi, plus largement, pour l’humanité. Il s’est développé auprès des fidèles de manière différente, mais non opposée : comme processus thérapeutique en Orient (cf. l’accompagnement par le pasteur, père spirituel, conseiller et guide d’âmes) et comme transmission du pardon du Christ en Occident (cf. le rôle du prêtre dispensateur du pardon offert par le Christ en croix). Pour Kretschmar, l’enjeu contemporain est moins de s’interroger sur le fait que la Confession soit ou non un sacrement, que de chercher à mettre en dialogue les deux conceptions orientale et occidentale pour envisager le ministère de la reconciliation, sachant, d’une part, que la fidélité et la miséricorde de Dieu sont plus grandes que notre obéissance et que, d’autre part, la déclaration du pardon de Dieu instaure une réalité nouvelle devant Dieu, pour nous et en même temps sur la terre, dans l’Église et dans la société.

La narrativité du récit de salut dans la liturgie des Heures. Un exemple au temps de Noël

Catherine Deschamps

Puisque la parole de Dieu tient « une importance extrême » dans la liturgie (SC 24), il vaut la peine de regarder de près comment la Liturgie des heures déploie cette parole de Dieu à travers les péricopes bibliques et l’euchologie d’un temps liturgique particulier : ici le temps de Noël. À partir d’une analyse lexicale, l’auteure étudie les prières et les péricopes des fêtes de Noël et de l’épiphanie, lors des grandes Heures de laudes et de vêpres. Elle y découvre comment la liturgie procède par une narrativité en acte qui, loin du processus chronologique, déploie l’hodie de l’œuvre du salut accomplie en Jésus Christ, interprétant la nativité et la manifestation de Jésus à travers son œuvre rédemptrice, sa Pâque, et nous conduisant à son accomplissement eschatologique. On perçoit ainsi, en suivant Paul Ricœur, comment la liturgie constitue une narrativité particulière qui donne sens au temps de notre existence humaine, terrestre.

Partir de l’assemblée : l’espace liturgique selon Vatican II et sa réception par Jean-Marie Duthilleul

Julien Sauvé

Après avoir rappelé les intuitions majeures du concile Vatican II concernant la liturgie (Sacrosanctum concilium) qui sont déterminantes pour l’aménagement des espaces liturgiques de nos églises, l’auteur analyse quelques réalisations de l’architecte Jean-Marie Duthilleul. L’église Saint-François-de-Molitor (Paris, xvie), l’église Saint-Ignace (Paris, vie) et la cathédrale Sainte-Geneviève de Nanterre constituent trois exemples caractéristiques dans lesquels l’architecte a su mettre en œuvre ces intuitions, en particulier, en structurant l’espace de célébration à partir de l’assemblée qui se reconnaît comme Église orientée dans sa marche, guidée par le Christ dont la présence est soulignée par l’autel, l’ambon et le siège de présidence. Ainsi, l’église-bâtiment se fait-elle corps vivant à l’image du Corps qu’est l’Église, marquée par les signes du baptême pour être, dans le monde, le signe du salut offert par le Christ à tout homme et participer ainsi à sa mission.

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