La Maison-Dieu n° 315 : Le ministère diaconal dans la liturgie
La Maison-Dieu poursuit son exploration ecclésiologique de la liturgie, cette fois sous un angle différent et complémentaire des précédents. Après LMD 313, Des ministères dans l’assemblée liturgique, abordant surtout le ministère de présidence et les enjeux d’une pluriministérialité dans la liturgie, après LMD 314 soulignant la synodalité que déploie la liturgie et précisant la dimension liturgique propre aux synodes, cette livraison se propose d’aborder spécifiquement le ministère du diacre dans la liturgie.
La théologie du diaconat a vécu et vit encore une certaine évolution au sein de l’Église. Il est vrai que le rétablissement d’un diaconat permanent est encore récent, puisque 60 ans seulement nous séparent de la Constitution Lumen gentium de Vatican II, d’autant que celle-ci ne l’avait pas défini de manière précise. Elle se contentait de le désigner, au n. 29, comme « le degré inférieur de la hiérarchie », « non en vue du sacerdoce, mais en vue du service ». Ce qui, avouons-le, est bien mince !
Plus encore, LG 29 le définit ensuite essentiellement par ce qu’il est habilité (autorisé) à faire en matière liturgique, après avoir toutefois précisé qu’il est « au service du peuple de Dieu, en communion avec l’évêque et son presbyterium, dans la “diaconie” de la liturgie, de la Parole et de la charité ». C’est évidemment à partir de ces trois derniers points qu’il est possible de développer une théologie du diaconat, et spécifiquement en ce qui nous concerne, dans son rapport à la liturgie.
Reconnaissons que l’approche de LG 29 a contribué à restreindre et obscurcir le statut théologal de ce ministère particulier auquel nous n’étions pas habitués, le cantonnant finalement dans un simple rôle d’acteur limité. Ce dossier se propose donc d’aborder résolument le statut du diacre à partir de la liturgie, et donc bien sûr des rites célébrés, mais en cherchant à préciser la nature même du ministère, au-delà de ce qu’il y fait, mais qui y est révélée.
Sommaire
Investissement liturgique et ecclésial des diacres d’aujourd’hui, Pierre Delort-Laval
Le Comité national du diaconat, en France, a publié en 2021 un rapport intitulé : Le diaconat permanent en France. Panorama et points d’attention 55 ans après son rétablissement, après enquête auprès des diacres dans les diocèses. L’auteur en interprète les données concernant leur rapport à la liturgie. Il remarque que leur investissement liturgique s’est accru. Cela tient, non seulement à une plus grande proportion de retraités que précédemment, mais aussi au rôle revalorisé de la liturgie comme source et sommet de la vie de toute l’Église et de l’évangélisation. Malgré le manque d’expérience liturgique au départ, la difficulté de relation avec les curés en certains lieux, et les avis contradictoires quant à la rénovation des promesses diaconales lors de la messe chrismale, le diaconat bénéficie aujourd’hui d’une meilleure compréhension de son identité. Celle-ci se situe dans la triple mission de la diaconie de la liturgie, de la parole et de la charité, dans la collaboration avec les évêques et les prêtres, pour entraîner toute l’Église à la charité.
Le diacre dans la liturgie : fonction auxiliaire et pourtant primordiale, Étienne Grieu
L’auteur propose une lecture attentive du rôle imparti au diacre dans la liturgie de la messe, pour tenter de mieux comprendre le sens de cette nouvelle figure ministérielle. En effet, le ministère diaconal se trouve être pris entre plusieurs tensions paradoxales. Pour l’auteur, la plasticité est constitutive du diaconat et colore fortement la manière d’habiter ce ministère, toujours à réinventer. Dans la célébration de l’eucharistie, « le diacre est non seulement le héraut d‘un Évangile toujours à entendre comme pour la première fois, mais aussi un ministre qui se risque lui-même, à la suite du Christ, à s’exposer à la violence que cette annonce suscite en retour », ce qu’il manifeste dans le service de la coupe dont il est chargé, établissant ainsi une communion avec le Christ qui rejoint les frères et sœurs dans l’épreuve, voire le martyre. Le diacre est aussi celui qui accompagne les passages auxquels l’assemblée est appelée : passage de l’écoute de la Parole à la réponse priante au nom de toute l’humanité ; passage de la prière de l’Église adressée à Dieu à l’échange mutuel du baiser de paix ; passage de l’assemblée réunie pour rendre grâce à la dispersion et la mission dans le monde. Le diacre est finalement celui qui rappelle à tous la structure responsoriale de la liturgie. En effet, il exerce une fonction auxiliaire de la présidence, et oriente l’ensemble des ministères dans leur dimension de service vers ceux qui sont présents, comme vers ceux qui n’ont pas trouvé place dans l’assemblée.
Le ministère des diacres et la présidence, Joël Sérard
Dans son motu proprio Omnium in mentem (2009), Benoît XVI a tenu à préciser la distinction entre le ministère des évêques ou des prêtres qui agissent au nom du Christ Chef (in persona Christi capitis), et le ministère des diacres habilités à servir dans la diaconie de la liturgie, de la Parole et de la charité. Demeure néanmoins une ambiguïté majeure qui demande un approfondissement théologique. En effet, lorsque le diacre est appelé à présider certaines célébrations liturgiques – ce qui s’accroît aujourd’hui –, que devient la figure propre du diacre et sa mission ? Analysant la place du diacre dans les rituels, l’auteur repère que celui‑ci dispose de la faculté de présider nombre de célébrations liturgiques, voire de consacrer. Dans certains sacramentaux, et particulièrement dans la célébration des funérailles, le diacre préside réellement, à l’image des officiants laïcs. Cela pose deux questions radicales : n’y a-t-il pas un risque de déséquilibre de la vie ecclésiale par un certain nivellement de la ministérialité, dans laquelle la diversité et la complémentarité des ministères ne jouent plus ? Et surtout, ne devrait-on pas considérer les diacres (mais aussi certains officiants laïcs) comme des ministres qui agissent aussi, en certaines occasions, in persona Christi et in persona Ecclesiæ ?
La diaconie de la liturgie aux périphéries, Gilles Rebêche
Dans cet article l’auteur nous partage son expérience de diacre auprès des personnes en grande difficulté, sans-abri, dans la souffrance, ou simplement éloignées de l’Église. Il mesure, à la fois, combien le ministère diaconal éveille et ouvre la liturgie de l’Église à l’attention envers toutes ces personnes, par sa présence discrète, son silence, ses gestes et ses paroles, mais aussi combien la liturgie a la capacité de rejoindre ces personnes lorsqu’on la déploie avec humilité et confiance. Il explore, non seulement la Veillée pascale – avec le rôle particulier qu’y tient le diacre – mais aussi les « liturgies du parvis » – que l’on peut qualifier de diaconales – rejoignant les personnes dans leur réalité profonde, notamment lorsqu’elles vivent des épreuves difficiles, voire sont abandonnées. Partageant son expérience, l’auteur montre comment le diacre, ministre du seuil, conduit chacun au Verbe fait chair, incitant toute l’Église à se tenir au seuil.
Diaconat et liturgie en France : entre histoire et épistémologie, Luc Forestier
Le parcours historique, dans le rapport entre diaconat et liturgie, depuis les ordinations des premiers diacres permanents en France (1970), permet de dégager un certain nombre de questions successives. En partant des constats proposés en 2021 par le Comité national du diaconat, il est possible de repérer la prégnance de certaines d’entre-elles sur l’originalité du diaconat, et la manière dont il est souhaitable de déployer ce ministère dans la vie liturgique des communautés chrétiennes. Apparaissent ainsi à son sujet, d’épineuses interrogations épistémologiques, que ce soit dans le domaine de la théologie de la liturgie ou du recours à l’histoire.
Le statut du diacre d’après les rituels d’ordination, Martin Troupeau
Dans cet article, l’auteur présente le ministère diaconal refondé par le dernier Concile à partir des rituels d’ordination, en s’appuyant sur trois dossiers principaux. D’abord dans l’Antiquité, il examine les prières d’ordination dans la Tradition apostolique (début du IIIe s.) puis dans le Sacramentaire de Vérone (VIe s.) qui montrent combien le diacre est d’abord au service de l’évêque, mais aussi progressivement, de l’Église. Il analyse ensuite le Rituel des ordinations actuel, soulignant l’articulation entre l’ordination de l’évêque, des prêtres et des diacres et la spécificité de ce dernier, dans chacun des trois rites, notamment au service de la Parole et de l’autel. Il regarde enfin, le Cérémonial des évêques en examinant plus particulièrement ce qui est dit de la messe stationnale présidée par l’évêque qui souligne la primauté de son service de l’autel où le Christ se donne dans le mystère de sa Pâque.
Ce numéro 315 de La Maison-Dieu propose par ailleurs une Chronique particulièrement opportune d’Enzo Petrolino, diacre italien, qui retrace l’évolution de la perception du diaconat en Italie. Suit, en Varia, le texte d’une conférence que Bernadette Mélois, directrice du SNPLS, a donné en Italie pour le 60e anniversaire de Sacrosanctum concilium, retraçant l’itinéraire qui a conduit le Centre de pastorale liturgique (CPL), né en 1943, fondateur de notre revue, à l’actuel Service national de pastorale liturgique et sacramentelle (SNPLS), dont elle en présente les principaux chantiers (voir une version abrégée en ligne sur notre site La pastorale sacramentelle et liturgique en France (1943-2023) | Liturgie & Sacrements (catholique.fr) dans le cadre du dossier Les ressources de l’Eglise : sens spirituel et enjeu pastoral du don | Liturgie & Sacrements (catholique.fr) ).