La Maison-Dieu n° 317 : Richesse et pertinence de la liturgie des Heures

Des paroisses proposent aujourd’hui la liturgie des Heures, plus ou moins régulièrement. Certaines familles la prient. Elle est assez souvent la prière retenue dans des réunions ou rassemblements diocésains. Sans doute sommes-nous en train de redécouvrir timidement une des formes de la liturgie de l’Église que le dernier Concile a voulu remettre en valeur en la confiant à l’ensemble du peuple de Dieu. Le numéro 317 de La Maison-Dieu met en lumière la richesse de la liturgie des Heures et sa pertinence pour notre temps.

L’histoire de la liturgie des Heures avec ses évolutions au cours des siècles est assez complexe. Cette prière commune s’est développée très tôt dans les premières communautés chrétiennes selon l’insistance de l’évangile de Luc : « Priez sans cesse… ». Sont particulièrement marquantes dans cette histoire : la variété selon les lieux, les communautés et les cultures des éléments qui composent cet office (ordonnancement, répartition des psaumes, choix des prières) et la relative constance de la structure de cette liturgie, y compris lors de la privatisation de l’office réservé aux clercs avec le développement du Bréviaire.
En s’appuyant sur la persistance du modèle monastique, le concile Vatican II a voulu revaloriser la dimension liturgique de cette prière célébrée en commun qui associe au mystère pascal du Christ. Il a insisté sur sa fonction théologale et pastorale comme exercice ecclésial du sacerdoce du Christ mort et ressuscité, confié à tous les baptisés. Il semble que le temps soit venu de promouvoir davantage cette liturgie des Heures, avec sa structure définie, mais en même temps souple, avec ses éléments bibliques et traditionnels (psaumes, cantiques, péricopes, hymnes) et ses éléments plus adaptés à notre temps (hymnes, intercessions). Promouvoir cette forme de liturgie aurait le mérite de sortir d’une polarisation trop étroite sur les sacrements (et surtout l’eucharistie) et de faire percevoir combien l’ensemble des fidèles baptisés participe du sacerdoce du Christ.
En effet, la forme liturgique portée par la liturgie des Heures est bien complémentaire de la forme sacramentelle, telle qu’elle apparaît dans la célébration de l’eucharistie qui en demeure le modèle le plus abouti, et aussi de la forme de « type catéchuménal » telle qu’elle apparaît dans les célébrations proposées durant le temps du catéchuménat, ou que l’on retrouve dans le Livre des bénédictions. Chacune de ces trois formes typiques a sa structure propre, plus ou moins souple et adaptable. Ces trois formes sont donc complémentaires, et notre Église a besoin de les développer toutes trois pour rejoindre nos contemporains, leur donner la possibilité de s’adresser communautairement à Dieu et – finalement – d’oser se tenir devant lui. Le souci d’évangélisation qui caractérise nos Églises contemporaines l’exige. La volonté affichée par nos évêques de redynamiser le sacerdoce commun des fidèles dans une Église synodale, également.
L’intérêt majeur de la liturgie des Heures est bien de nous inscrire dans une tradition, puisqu’elle fait monter vers Dieu la prière même du Christ, en particulier à travers les psaumes, nous associant à lui, à son unique sacerdoce. Ainsi, celle-ci nous fait embrasser toute la sollicitude du Fils envers le Père miséricordieux – avec la force et la patience de l’Esprit – pour tous les hommes et toutes les femmes de notre monde, à différentes heures de la journée. La chance de cette liturgie est aussi de pouvoir inscrire cette mission dans notre monde contemporain et sa culture, avec des hymnes récentes dont la poésie nous ouvre à l’indicible, avec des prières d’intercession pour tous ceux qui en ont besoin encore aujourd’hui. Certes, la liturgie des Heures demande un apprentissage. On n’y entre pas si facilement, sauf à s’adjoindre progressivement à une communauté célébrante dont la prière et le chant nous attirent. Mais la souplesse de sa forme est un atout décisif pour développer la mission des baptisés et rejoindre le plus grand nombre.
Voici donc l’enjeu du dossier de cette livraison de La Maison-Dieu consacré à la liturgie des Heures. Dans le premier article, Bénédicte Mariolle en situe l’histoire pour en tracer la portée ecclésiale et eschatologique. Le deuxième article, écrit par Patrick Prétot, prolonge en quelque sorte le propos, en interrogeant le rapport à l’eucharistie. François-Xavier Ledoux développe, dans le troisième article, la portée pascale de cette liturgie  déjà pointée par les deux auteurs précédents –, en analysant sa structure qui permet aux fidèles de cheminer avec le Christ pour passer avec lui de la mort à la vie. Christophe Lazowski analyse l’origine et la conception des intentions de la prière d’intercession à Laudes et Vêpres. Enfin Dominique-Marie Dauzet étudie l’enjeu poétique des hymnes de l’office où se joue le rapport au cosmos et au monde.

Cette livraison de La Maison-Dieu se prolonge avec un Varia d’Agneszka Buczakowska sur le Rituel des funérailles et ses notes doctrinales et pastorales en langue française. Avant les « chroniques » habituelles, on trouvera une nouvelle rubrique régulière intitulée « Expression » qui sera désormais insérée dans notre publication. Elle sera consacrée à l’étude limitée mais approfondie d’une expression majeure ayant trait à la liturgie. Gilles Drouin inaugure cette nouvelle rubrique avec l’expression « noble simplicité ».

Sommaire

La liturgie des Heures. Un mode d’être ecclésial et eschatologique, Bénédicte MARIOLLE

La liturgie des Heures par laquelle s’exprime une forme spécifique de la prière publique de l’Église est encore loin d’être reçue dans la pratique ecclésiale ordinaire comme le souhaitait le pape Paul VI au moment où il promulguait le nouvel Office divin restauré. Et pourtant celui-ci y voyait la possibilité « d’un renouveau spirituel général » et « la reconnaissance d’un besoin intrinsèque de tout le corps de l’Église ». Il y a là, en effet, une tradition qui s’exprime dès le Nouveau Testament dans la communauté née de la Pentecôte et prend forme à travers la pratique des Heures comme un mode d’être eschatologique de l’Église qui assure la continuité de la prière du Christ et veille dans l’attente de son retour. On peut alors se demander s’il ne manque pas quelque chose d’essentiel à l’Église, à la manière dont elle se comprend et à sa manifestation en ce monde quand cette réalité a aujourd’hui si peu de place dans la vie ecclésiale. C’est ce que l’article essaie de mettre en lumière, comme un appel et une urgence.

article "La liturgie des Heures. Un mode d'être ecclésial et eschatologique"

Eucharistie et liturgie des Heures : penser ensemble les deux « fonctions principales » de la liturgie, Patrick PRÉTOT

La célébration de la liturgie des Heures apparaît comme une forme de vie eucharistique. Présentée comme « une des fonctions principales de l’Église » (Présentation générale de la liturgie des Heures 1) elle réalise en effet, à sa manière, ce qui s’accomplit au plus haut point dans la célébration de la messe. Par la succession des Heures, elle permet de déployer ce que la messe effectue dans le temps de la célébration. En actualisant sans cesse la relation entre le Christ et l’Église, elle offre aux fidèles une entrée pascale dans le mystère de la Rédemption, ce qui est essentiel à une juste compréhension de la communion eucharistique, comme participation à la vie du ressuscité et anticipation de la vie éternelle. La liturgie des Heures doit être présentée en tant que chemin de vie spirituelle qui offre aux chrétiens d’être plongés dans le mystère pascal du Christ comme aussi dans l’œuvre de Dieu, cet opus Dei des anciens, qui sans cesse « fait mémoire » de la Création dans l’attente du salut définitif et de la communion plénière avec Dieu.

La liturgie des Heures, chemin pascal avec le Christ, François-Xavier Ledoux

La structure dynamique de la liturgie des Heures cherche à faire vivre dans les membres de l’Église en prière, le mystère pascal du Christ. En ouvrant les cœurs à la louange de Dieu, en mettant les fidèles assemblés dans une posture psalmodiante et d’écoute attentive de sa Parole, en proclamant et en actualisant son œuvre salvifique par le chant et la prière, en louant et en intercédant pour la gloire de Dieu et le salut du monde, la liturgie des Heures contribue, de manière fondamentale, à cette mise en œuvre du mystère rédempteur. Par son cadre rituel et les éléments successifs de sa structure propre, la liturgie des Heures nous fait ainsi parcourir tout un itinéraire pascal qui nous porte au-delà de nous-mêmes et donne une forme pascale non seulement à notre prière mais aussi à notre existence et à notre engagement chrétien.

Les preces des laudes et vêpres : de la suppression de prime à la découverte d’un « lieu eucharistique » de la prière des Heures, Christophe LAZOWSKI
La réintroduction de prières d’intercession à Laudes et à Vêpres n’était pas prévue par la Constitution sur la liturgie de Vatican II ; cette restauration n’a été décidée qu’une fois la réforme largement engagée. Ce projet a été conduit de manière simultanée en latin et dans les langues vernaculaires car il est rapidement devenu évident que les textes latins ne pouvaient servir que de modèles, et qu’il serait nécessaire de composer des intercessions directement dans toutes les langues employées dorénavant dans la liturgie. Ainsi la comparaison entre les textes définitifs, latins et français, montre le caractère plus abouti de ces derniers et leur plus grande adéquation à leur fonction liturgique. En conclusion, l’auteur relève que les preces mettent en lumière la nature eucharistique de la liturgie des Heures et sa capacité de soutenir la vie contemplative à laquelle tous les baptisés sont appelés.
Les hymnes de la liturgie des Heures : quand la poésie se fait mystagogie, Dominique-Marie DAUZET
Les hymnes de la Liturgie des Heures constituent une ouverture poétique et confessante pour donner au priant la couleur et la tonalité propre à l’heure du jour et au temps célébré. La version francophone a retenu 257 hymnes, pour la plupart nouvelles, répondant aux attentes littéraires et spirituelles du peuple de Dieu et développant les accents théologiques propres à nourrir la foi des fidèles dans le monde d’aujourd’hui. L’auteur de cet article étudie la poésie de quatre hymnes caractéristiques de la richesse de l’hymnaire : « N’allons plus nous dérobant » (Marie-Pierre Faure), « Tel un brouillard » (Pierre-Yves Emery), construite selon la tradition hymnodique latine ; l’hymne « Aujourd’hui revêtu de lumière » (Paul Houix) qui s’adresse en mode interpellatif au Christ lui-même ; enfin « Pour que l’homme soit un fils » (Didier Rimaud).
Varia
Pédagogie des Prænotanda francophones du Rituel des Funérailles : uneressource pour la théologie pascale de l’existence chrétienne, Agnieszka BUCZAKOWSKA ?
Le Rituel des funérailles francophone s’avère une ressource majeure pour appréhender, non seulement la destinée humaine, mais toute l’existence chrétienne jusqu’à son achèvement, dans la dynamique du mystère pascal du Christ. Déjà repérable dans la théologie du Rituel romain issue du concile Vatican II, cette dernière est encore renforcée dans l’adaptation francophone et particulièrement dans ses praenotanda (préliminaires) développés. La célébration des funérailles apparaît alors comme lieu décisif où se vit une expérience commune du salut, dans le prolongement et l’achèvement de notre existence terrestre perçue comme préparation et anticipation du Royaume promis. Le « dernier adieu » en est le reflet particulièrement éloquent. L’auteure conclut cette étude par trois suggestions pastorales, en invitant à accueillir plus largement les demandes de célébrations dans un autre lieu que l’église, à réfléchir à une compréhension plus positive de la pratique croissante de la crémation, et à développer des propositions catéchétiques ouvertes à tous permettant de s’interroger sur la dignité et la destinée de l’être humain.
Expression
« Noble simplicité », Gilles Drouin
« Les rites manifesteront une noble simplicité, seront d’une brièveté remarquable et éviteront les répétitions inutiles ; ils  seront adaptés à la capacité de compréhension des fidèles et, en général, il n’y aura pas besoin de nombreuses explications pour les comprendre » (SC 34). Comme « participation active », l’expression conciliaire « noble simplicité » a connu une grande postérité. Comment la comprendre ?